Enquête mycologique, le Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa

Publié le 30 Mars 2024

Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel. L’enquêteur de la brigade d’identification des champignons apprécie tout particulièrement d’arpenter les forêts pour recenser tous les gangs fongiques qui s’y trouvent.

 

Scène du crime

 

Nous sommes le 22 mars 2024, dans une prairie permanente sablonneuse de ripisylve à Zetting. Le terrain est pâturé et la zone de découverte est assez perturbé par les sabots des ruminants. Le spécimen pousse à proximité d’un chêne isolé. L’enquêteur n’a absolument aucune idée de ce que pourrait être ce spécimen. Il faudra mettre en œuvre une méthodologie rigoureuse pour déverrouiller l’énigme.

Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Arme du crime

 

Le champignon pousse au sol, avec énormément de débris organiques à la base du pied. Sans doute qu’il s’agit d’un champignon saprotrophe. Il paraît peu probable qu’il s’agisse d’un champignon mycorhizien mais la question se pose avec le chêne à proximité. Néanmoins, à cette saison, l’arbre n’a pas de feuilles, donc pas de photosynthèse pour alimenter le champignon.

 

Profil du suspect

 

De morphologie classique pied chapeau, c’est un champignon à lames, de taille moyenne. Les lames sont blanches et non libres, échancrées. Pas d’ornement ou de voile ni sur le pied, ni à sa base, ni sur le chapeau. C’est un champignon de couleur crème. Deux détails sont ici à noter : le dessus du chapeau est pruineux et le haut du pied floconneux. Pas d’odeur et de saveur significatives.

A ce stade, c’est toujours le mystère complet. En priorité il faut réaliser la sporée. Les lames sont blanches, on peut donc supposer une sporée blanche. Mais ça ne dispense pas de la réaliser car couleur des lames ne rime pas toujours avec couleur de sporée.

 

Couleur de sporée

 

Elle est effectivement blanche. En en restant à ces considérations morphologiques, les guides d’identification grand public ne permettent pas d’avancer. Il va falloir passer par la microscopie pour espérer en savoir plus. Un bon observateur qui a vu le haut du pied floconneux pourra se dire que cela signe la présence de caulocystides (des cystides du pied) et effectivement, la microscopie le confirmera.

 

L’examen par la police scientifique

 

La première chose à faire est d’observer les spores sous le réactif de Melzer. Pour cela, on utilise les spores déposées lors du test de sporée. L’examen des spores dans le réactif de Melzer montre qu’elles sont amyloïdes (de couleur noire) et verruqueuses. On observe également la présence d’une zone qui ne réagit pas au réactif et n’est pas verruqueuse. Leur dimension est 7,5-9 x 5-6 micron. On parle alors de plage supra apiculaire lisse. Là c’est une surprise car cette observation nous oriente tout de suite vers le genre du champignon, en l’occurrence Melanoleuca.

Spores montées au Melzer. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Spores montées au Melzer. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

On observe également la morphologie et les dimensions des basides. Elles ont 4 stérigmates.

Basides. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Basides. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Vient maintenant l’observation des cystides. D’abord les cystides de l’hyménium (la partie latérale des lames) : pas de pleurocystides. Ensuite les cheilocystides (au niveau de l’arête) : elles sont présentes et sont en forme de poil d’ortie, cloisonnées et fusiformes.

Cheilocystides en poil d’ortie. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Cheilocystides en poil d’ortie. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)
Cheilocystides en poil d’ortie. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Cheilocystides en poil d’ortie. Microscopie x1000 du Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Sur le pied, les caulocystides sont également mises en évidences.

Caulocystides. Microscopie x1000- Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Caulocystides. Microscopie x1000- Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa- Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Une monographie récente, parue en 2023, de Vladimir Antonin, traite de ces Melanoleuca à poil d’ortie. Avec tous ces éléments, le spécimen est enfin identifié : le Melanoleuca de Kühner, Melanoleuca excissa (Fr. : Fr.) Singer

Statut selon l’INPN : listé en données insuffisantes (DD), espèce pour laquelle l’évaluation n’a pas pu être réalisée faute de données suffisantes, sur la liste des champignons supérieurs menacés en Alsace

Comestibilté : inconnue

 

La conclusion de l’enquêteur:

Je pense que ce Melanoleuca est rare chez nous. L’endroit de découverte est un endroit prospecté souvent, chaque année et c’est sa première apparition. Il apprécie les milieux herbeux et dans la littérature, il est plutôt décrit comme automnal et hivernal. Une observation printanière a de quoi dérouter. Est-ce à la faveur d’un hiver très humide et d’un début de printemps doux ? On verra si 2024 réservera d’autres surprises.

 

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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R
Ouahh quelle enquête, j'ai transpiré autant que l'enquêteur
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G
Salut Roland,<br /> En été on risque de suer davantage
B
Quel suspense en effet. Vous avez failli avoir un Cold case!
Répondre
G
Bonjour Bernard,<br /> Dans le cas extrême, il faut faire un séquençage génétique et là ce n'est pas toujours gagné