Tara, la goélette scientifique, de retour d’une mission dans le Pacifique

Publié le 30 Octobre 2018

Article paru sur Le monde le 27/10/2018

Vous pouvez aussi retrouver  sur le site du Monde plusieurs articles publiés pendant son périple autour du monde

L’expédition scientifique est arrivée dans le port de Lorient, en Bretagne, après deux ans et demi d’étude des coraux dans l’océan pacifique.

Dans le monde de la recherche scientifique, Tara n’est plus à présenter. Bateau polaire à l’origine, la goélette incarne aujourd’hui la Fondation Tara, première fondation reconnue d’utilité publique sur les océans. Depuis 2003, la goélette grise est devenue un emblème et un navire unique. Après Tara Arctic, Tara Oceans, Tara Méditerranée, voilà l’expédition Tara Pacific qui s’achève. Le bateau est arrivé ce samedi à Lorient, son port d’attache, avec à son bord un état des lieux très poussé des récifs coralliens du Pacifique. « En quinze ans, nous avons mené des recherches scientifiques de très haut vol avec de nombreux laboratoires de recherche afin de mieux comprendre les enjeux environnementaux sur la planète mer », précise Etienne Bourgois, directeur général de la marque de vêtements Agnès b., armateur du bateau.

Le Pacifique abrite près de 40 % des coraux de la planète

Le Pacifique abrite près de 40 % des coraux de la planète. Pour Serge Planes, coordinateur scientifique de l’expédition et directeur de recherche CNRS au Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement en Polynésie, cette mission est un réel succès puisque les équipes de bord ont réalisé près de 90 % de l’objectif initial. « C’est la première expédition de cette envergure, dit-il. Près de 36 000 échantillons ont été récoltés et tous les archipels ont été au moins visités une fois. »

Le bateau est arrivé samedi à Lorient, son port d’attache, avec à son bord un état des lieux très poussé des récifs coralliens du Pacifique

Même satisfaction du côté de Tara Expéditions. « Nous avons réalisé près de 2 700 plongées. Le tout sans problèmes techniques majeurs», précise Romain Troublé, le président de la Fondation Tara.

Bulles d’eau chaude

Serge Planes a concentré les prélèvements sur trois espèces de coraux sur les 1 500 répertoriées. « Nous nous sommes penchés sur des espèces que l’on retrouvait partout dans le Pacifique : un corail massif, un corail branchu et un corail de feu (très urticant lorsqu’on le touche) qui sont très importants dans la construction des récifs. » Il explique que chaque récif a son propre seuil de stress. Si la température de l’eau s’élève d’un à deux degrés Celsius pendant quelques jours, le polype se sépare des micro-algues qui le nourrissent et lui donnent ces couleurs. Alors l’animal devient pâle, blanchit et le corail s’épuise avant de mourir si le phénomène persiste.

 

Si certaines espèces sont plus ou moins résistantes en fonction de leur physiologie et de leur particularité génétique, d’autres peuvent s’adapter à ces modifications d’environnement. « Tout dépend de la température moyenne dans laquelle ils se trouvent de façon permanente. » Les coraux situés dans les latitudes basses ou hautes (plus tempérées) blanchissent à des températures plus basses. Ceux qui se trouvent plutôt en zone tropicale, donc à des températures plus élevées, blanchiront à des températures plus hautes. « Ce qui est beaucoup plus chaotique, c’est la façon dont se met en place géographiquement le blanchissement, explique Serge Planes. C’est une combinaison de facteurs associés au réchauffement de la planète, notamment liés à un contexte de “warm bloops”, des bulles d’eau chaude situées dans des zones particulièrement restreintes, marquées par un réchauffement très localisé. »

Lire aussi :   Les coraux du Pacifique sont massivement endommagés

Dégradation côtière

A proximité des grosses métropoles, notamment en Asie du Sud-Est, l’état de santé des coraux et sa variabilité dépendent principalement des pressions liées aux activités humaines directes, qui s’ajoutent au réchauffement climatique. Il ne s’agit plus de blanchissement mais de dégradation côtière, causée notamment par la pollution, l’absence de traitement des eaux usées, la surpêche et la déforestation, qui facilite le déversement des sédiments dans les rivières et leur dépôt sur le corail jusqu’à son étouffement. « Il s’agit d’une agression physique et comme le récif est côtier, il la subit de plein fouet », continue le spécialiste des coraux.

Les épisodes de blanchissement pourraient devenir un phénomène annuel pour 90 % des récifs coralliens au cours des prochaines décennies

En attendant que cette quantité énorme de prélèvements puisse livrer son secret, les scientifiques ont déjà fixé une tendance pour l’avenir des récifs du grand océan. Les épisodes de blanchissement pourraient devenir un phénomène annuel pour 90 % des récifs coralliens au cours des prochaines décennies. Et si les prévisions sur leur évolution ne prévoient plus leur disparition complète, les dégradations devraient se poursuivre jusqu’à ce que le changement climatique se stabilise et que de nouveaux types d’assemblages de récifs puissent résister aux nouvelles conditions thermiques. Le consortium Tara Pacific (qui représente vingt-trois laboratoires et une centaine de chercheurs) aura besoin de deux à cinq ans avant d’obtenir une vision globale de ces phénomènes.

Serge Planes a concentré les prélèvements sur trois espèces de coraux sur les 1 500 répertoriées. « Nous nous sommes penchés sur des espèces que l’on retrouvait partout dans le Pacifique : un corail massif, un corail branchu et un corail de feu (très urticant lorsqu’on le touche) qui sont très importants dans la construction des récifs. » Il explique que chaque récif a son propre seuil de stress.

La Fondation Tara appelle d’ores et déjà les Etats à prendre immédiatement six mesures d’urgence afin d’atténuer le stress subi par les récifs : amélioration de la gestion des déchets plastiques, limitation de l’impact de l’agriculture, de l’élevage et de la déforestation, interdiction ou contrôle des méthodes de pêche, du développement des grandes infrastructures côtières, et enfin sensiblisation des populations locales à préserver leur propre environnement.

article sur les conditions de vie sur Tara

Au port d’Honolulu, le capitaine de « Tara », Yohann Mucherie, prépare, depuis le poste de navigation, la traversée vers Portland (Oregon), le 20 juin.
Au port d’Honolulu, le capitaine de « Tara », Yohann Mucherie, prépare, depuis le poste de navigation, la traversée vers Portland (Oregon), le 20 juin. SAMUEL BOLLENDORFF POUR LE MONDE

#PlastiquePacifique. Le Monde met le cap sur le vortex de déchets du Pacifique Nord, la « soupe » de microplastiques du gyre du Pacifique Nord. Embarqués sur la goélette scientifique Tara pour un périple de trois semaines entre Honolulu (Hawaï) et Portland (Oregon), notre journaliste Patricia Jolly et le photographe Samuel Bollendorff vous emmènent au cœur de cette mixture mitonnée par l’homme, qui rejette chaque année 8 millions de tonnes de plastiques en mer.

Quarante-huit heures de navigation et 250 milles nautiques couverts (environ 460 km) sur les 2 255 prévus jusqu’à Portland (Oregon)… Mardi 19 juin à 21 h 12, heure locale, la goélette Tara a quitté le quai 9 du port de Honolulu (Hawaï) pour faire route vers le vortex de déchets du Pacifique Nord (Great Pacific Garbage Patch, GPGP).

« Tara » amarré au quai 9 du port d’Honolulu, le 20 juin.

Juste avant le départ avait eu lieu le briefing « vie à bord et sécurité » du capitaine Yohann « Yo » Mucherie et de son second Daniel « Dan » Cron. Un huis clos à treize, à ciel ouvert, sur un voilier de 36 mètres, ça s’organise. Les marins sont connus pour leur manie de faire des phrases et les maîtres de notre bord ne dérogent pas à cette règle.

 

Le menu de la « croisière » est copieux : tableau des tâches à bord – de la vaisselle à la corvée de toilettes sans oublier le service de table –, planning des quarts de nuit – le plus cauchemardesque, c’est le 3 heures-6 heures –, répartition dans les deux Zodiac de sauvetage en cas de naufrage, et essayage des combinaisons d’immersion orange. Aussi seyantes que flottantes, elles prolongeraient au mieux nos agonies respectives de quelques heures. Depuis notre départ, nous n’avons en effet croisé qu’une poignée d’oiseaux marins égarés, et nous ne reverrons la terre qu’aux environs du 8 juillet.

Le capitaine en second, Daniel Cron, vérifie les cartes pour la navigation à travers le Pacifique Nord, entre Hawaï et Portland (Oregon).

Le fait d’œuvrer pour la planète ne nous affranchit pas des paradoxes. Depuis le départ, Tara a le vent dans le nez – quand il y en a – ; aussi, malgré ses deux mâts gigantesques et ses 400 mètres carrés de surface potentielle de voilure, la goélette monte à l’assaut du gyre de plastiques… au moteur. Vacarme assourdissant et relents de gazole entre deux nuances de bleu – du ciel et de l’océan –, tel est notre lot.

Séparer le plancton du plastique

Pour les cinq scientifiques du bord, experts en plancton et en plastique, ça n’est donc pas la vie de paquebot. Les « manips » débutent à 7 h 30 pétantes. A encore trois jours de navigation du GPGP, des microplastiques se laissent déjà prendre à leurs filets.

Dolphin, HSN ou Manta ressemblent à des chaussettes géantes équipées d’un collecteur qu’on traîne en surface entre trente minutes et deux heures. Il faut l’aide de deux membres de l’équipage pour les immerger à l’arrière de Tara qui doit adapter sa vitesse entre 7 et 3 nœuds (13 et 5,5 km/h) pour assurer des prélèvements efficaces. On les remonte pour entamer un travail de bénédictin : séparer le plancton du plastique à l’aide d’une pince à épiler géante. A l’abri de cryotubes, ces petites choses seront ensuite stockées dans les congélateurs ou les réfrigérateurs de la cale avant.

La spécialiste du plastique à l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer, Maria Luiza Pedrotti, prépare son équipement.

Malgré le beau temps et la mer calme, Justine Jacquin, doctorante spécialiste de la dégradation des plastiques à l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), n’a même pas pu faire un de ces allers-retours entre le pont arrière et les flancs du navire. Le premier jour, à peine éveillée, cette Bretonne s’est mise à nourrir les poissons. Elle n’a repris des couleurs, une alimentation légère et une vie sociale que trente-six heures plus tard, pour célébrer l’été et la Fête de la musique.

Mélanie Billaud, la Niçoise, s’est rebiffée. A 21 ans, cette étudiante en master 1 sciences de la vie à Sophia-Antipolis, est actuellement en stage avec Maria Luiza Pedrotti, chercheuse en biologie marine au Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) et cheffe de mission scientifique sur Tara. La benjamine du bord, qui doit son embarquement au désistement d’un chercheur senior, est bien décidée à vivre pleinement ce rêve éveillé. Jamais on n’avait vu quelqu’un plonger la tête dans un vilain seau marron puis le vider dans l’océan avec un sourire aussi radieux, avant de se remettre au travail comme si de rien n’était.

Premier lever de soleil sur le Pacifique, durant le quart de Stephane Mazevet, vice doyen à la science pour Paris Sciences Lettres.

Daurade coryphène

Au coucher du soleil, Maria Luiza Pedrotti philosophait en briscard : « Il y a deux sortes de malades en mer, ceux qui sont “out” pour deux jours et qui n’y peuvent rien, et ceux qui, après avoir vomi, réussissent à vaquer à leurs occupations. »

J’appartiens donc à un troisième type, celui de la migraineuse barbouillée bien en peine de remplir son office. Comment le photographe Samuel Bollendorff est-il aussi à l’aise sur l’eau ? Ses bracelets antinausée ou ses origines luxembourgeoises ?

Mon questionnement existentiel attendra. La ligne de pêche qui traîne dans l’eau à bâbord couine, provoquant un branle-bas de combat. Une daurade coryphène de taille à améliorer notre ordinaire – un mètre pour 5 kg – se débat au bout de l’hameçon. Jonathan « Jon » Lancelot, le chef-plongeur, porte l’estocade d’un coup de couteau expert à l’arête dorsale. Taillé en filet et mis en marinade, l’infortuné mahi-mahi – comme on l’appelle dans ce coin du Pacifique – figure déjà au menu du déjeuner du lendemain.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Changement climatique

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