La deuxième vie des déchets alimentaires

Publié le 5 Juillet 2019

La deuxième vie des déchets alimentaires

Arêtes de poisson, noyaux d'abricot et autres résidus industriels sont désormais transformés pour l'alimentation des animaux, la fertilisation ou les produits cosmétiques. Un marché prometteur, alors que le gouvernement va présenter une loi sur l'économie circulaire.

paru sur  La Vie le 17/6/2019

Arêtes de poisson, noyaux d'abricot et autres résidus industriels sont désormais transformés pour l'alimentation des animaux, la fertilisation ou les produits cosmétiques. Un marché prometteur, alors que le gouvernement va présenter une loi sur l'économie circulaire.

Dans le catalogue de la société Biolie, créée en 2012 dans la métropole du Grand Nancy, figure une bonne vingtaine d'huiles et d'actifs à destination des laboratoires cosmétiques ou du marché des compléments alimentaires. Ils sont tous d'origine végétale. Mais, plus inattendu, ils proviennent de déchets d'autres industries, comme les noyaux d'abricot, de légumes hors calibre ou de pétales de safran. Ceux-ci sont tous broyés, mélangés à de l'eau et des enzymes puis centrifugés et filtrés afin d'en extraire, par exemple, un actif aux vertus cicatrisantes pour la rafle de maïs. Ou encore un anti-vergetures dérivé de feuilles de salades qui n'ont pas fini en sachet. 

« Afin de trouver une alternative à un extrait trop odorant de poivron vert pour colorer une huile cosmétique, on a travaillé en quantité limitée sur des feuilles de thé vert usagées ayant servi à la production de thé glacé », glisse Stéphanie Alves, business development manager. Un exemple breveté d'économie circulaire, garanti sans solvants, qui intéresse des professionnels en quête de produits naturels et de nouvelles molécules pour perfectionner leurs produits. Prochain cheval de bataille : les microalgues riches en protéines et en pigments bleus recherchés par les fabricants de colorants.

Plus de 10 millions de tonnes de déchets

Comme Biolie, une myriade de sociétés sont prêtes à trouver de nouveaux débouchés aux déchets. Alors que le gouvernement doit présenter un projet de loi sur l'économie circulaire le 3 juillet, c'est aussi une aubaine pour les agriculteurs et les industriels qui y trouvent une nouvelle source de revenus : ces produits qui n'entrent pas dans les canons de la grande distribution et autres résidus, appelés coproduits, représentent plus de 10 millions de tonnes en 2017, selon une enquête du réseau pour la sécurité et la qualité des denrées alimentaires (Réséda). Trois quarts d'entre eux sont transformés en rations pour l'alimentation animale : ils prennent ainsi la forme de tourteaux de colza, de poudre de babeurre ou de pulpe de betterave déshydratée issue de l'industrie sucrière. Un quart part dans l'épandage et la fertilisation de terres, la composition de colorants, de produits cosmétiques... 

Alors que le gouvernement doit présenter un projet de loi sur l'économie circulaire le 3 juillet, c'est aussi une aubaine pour les agriculteurs et les industriels qui y trouvent une nouvelle source de revenus

« Dans les années 1980, l'éleveur était quasiment payé par des industriels pour venir récupérer des déchets au lieu de les incinérer ou de les composter. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Car ces déchets ont pris de la valeur et sont même indexés, ce qui engendre une meilleure organisation des filières mais une plus grande tension dans les usages et les coûts des coproduits », raconte Benoît Rouillé, responsable de projets à l'Institut de l'élevage et animateur du comité national des coproduits. La logistique est de plus en plus rodée. Le transport, le stockage ainsi que le conditionnement des déchets se perfectionnent et bénéficient même désormais de certifications. Une chaîne utile pour les coproduits qui ne sont pas disponibles toute l'année, comme ceux issus de la production de fruits et de légumes. « La rentabilité de ces nouveaux produits dépend aussi de la proximité géographique entre les sites de production et les lieux de transformation », ajoute Patrick Chapoutot, enseignant-chercheur à AgroParisTech qui étudie également les compositions chimiques et la valeur nutritionnelle de ces composants dans les régimes des animaux.
 

Des attentes sociétales fortes

Désormais, en Normandie et en Bretagne, les mareyeurs – les grossistes de la pêche professionnelle – voient d'un tout autre oeil la masse d'arêtes, d'yeux, de viscères et de cartilages délaissée par les nobles filets vendus aux consommateurs. C'est pourtant au moins la moitié de l'assiette ! Avec une récente levée de fonds d'un million et demi d'euros pour accélérer son développement, la société Abyss'Ingrédients, basée à Quimper, les achète dans les ports sud de la Bretagne afin d'en extraire notamment des actifs favorisant le « bien vieillir ». Ils seront ensuite revendus aux laboratoires pharmaceutiques qui les transformeront en gélules. Un marché de niche au potentiel qui reste à démontrer sur le long terme : « Tous les indicateurs sont au vert. Les attentes sociétales sont fortes. Mais la concurrence avec d'autres pays comme la Chine ou le Danemark demeure importante et l'approvisionnement de qualité reste un sujet », souligne Alexis Méhaignerie, fondateur de la PME. 

Frais, riches en eau, les déchets de la pêche sont également difficiles à transporter. Un constat partagé par l'ESITC, une école normande d'ingénieurs de travaux de construction située à Caen. Une équipe de recherche a développé pendant plusieurs années un pavé drainant les eaux de pluie, combinant pour deux tiers des granulats et un tiers des éclats visibles de coquilles Saint-Jacques préalablement séchées, concassées puis réduites en poudre. Les premiers pavés à échelle industrielle sont en train d'être posés dans un parking municipal de 1 700 mètres carrés à Wimereux, dans le Pas-de-Calais. « Les pistes exploitées concernent principalement les revêtements urbains mais on a également des demandes de particuliers. C'est toutefois 15 à 20 EUR plus cher par mètre carré par rapport à un pavé traditionnel », fait remarquer Clément Delobel, un ancien élève de l'ESITC, aujourd'hui responsable dans un bureau d'études. 

Tous les indicateurs sont au vert. Mais la concurrence avec d'autres pays demeure importante et l'approvisionnement de qualité reste un sujet.

Autres nouveaux venus dans cette filière riche en promesses : les poids lourds de l'agroalimentaire, qui se mettent à exploiter les déchets sur leurs sites de production. Labeyrie, leader sur le marché du saumon fumé, vient de créer une ligne de production sur l'une de ses usines pour récupérer la chair accrochée aux arêtes centrales afin de la réutiliser dans d'autres produits en rayon. Avril, le groupe derrière Lesieur et Puget, a créé deux filiales, Adonial et Terrial, pour transformer coques de tournesol, coquilles d'oeufs et autres résidus issus d'élevage en tourteaux pour animaux ainsi que des engrais et fertilisants pour les terres agricoles. En février dernier, Suez est entré au capital de Terrial à hauteur de 32 % en espérant y faire fleurir ses activités de compost. Le tout est encore de trouver l'équilibre entre la facture de transformation des coproduits et les profits attendus.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Déchets

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