"On ne construit pas une ville durable les yeux rivés sur la croissance",

Publié le 13 Février 2023

« C’est aux individus de redevenir les acteurs d’un projet utopique et non pas les clients passifs d’un système économique fragile »

« C’est aux individus de redevenir les acteurs d’un projet utopique et non pas les clients passifs d’un système économique fragile »

Paru sur le site l'alsace le 18/1/2023

"On ne construit pas une ville durable les yeux rivés sur la croissance", selon le géographe Michel Lussault

Selon le géographe Michel Lussault, la ville durable ne se contente pas d’un peu plus de verdure ou de moins d’énergie. D’autres dimensions sont nécessaires pour approcher d’une ville modèle.

Qu’est-ce qu’une ville durable ?

Le terme durable est utilisé pour la première fois dans le rapport Bruntland, rédigé par l’Organisation des Etats-Unis pour préparer le sommet de la Terre. Plus précisément, c’est le terme de « sustainable development » qui est traduit par « développement durable ». On se demande alors déjà si on peut concilier exigences environnementales et exigences économiques. Dans la foulée, les réflexions sur ce que pourrait être une ville durable se multiplient et définissent quatre conditions.

Lesquelles ?

La première est économique, à savoir une ville avec des activités de production, d’échanges, de distribution. La seconde condition est environnementale, une ville qui n’est pas prédatrice de ses environs, dont l’impact n’est pas destructeur pour la planète. La troisième est sociale. Pas l’égalitarisme, mais que chacun puisse accéder aux biens et aux services, une condition pour « faire société ». La quatrième dimension est politique. Dans une ville durable, chacun doit avoir la possibilité de s’exprimer, de choisir, de s’émanciper.

Quelle ville rassemble ces quatre conditions ?

Aucune ! Paradoxalement toutes se disent engagées dans le développement durable en mettant souvent en avant des technologies, par exemple Singapour ou Neom, la ville futuriste en Arabie saoudite. Mais si on prend au sérieux les quatre conditions, ce ne sont pas des villes durables. En France, il y a des tentatives, notamment à Nantes et à Lyon, mais il manque toujours quelque chose… Sans répondre à tout, quelques-unes s’en rapprochent, en Scandinavie, en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Italie. Ce sont généralement des villes riches.

Quelles initiatives ou mesures s’approchent de cet idéal de ville durable ? Les écoquartiers ?

Les écoquartiers sont très souvent des expérimentations limitées à du projet urbain standard avec une petite couche de durabilité. C’est le cas à Lyon Confluence, où après une première phase intéressante la plus-value immobilière a fait passer la durabilité en arrière-plan. Pourtant, il y a des leviers, comme l’accès aux ressources en régie publique, la fin de la spéculation sur le foncier, une politique volontaire sur le logement, le soutien à des incubateurs d’économie circulaire… Remettre de l’économie, des services de proximité dans les quartiers aussi. Ce qui réduit des problèmes de mobilité, de logistique. Or, ces services sont au contraire moins nombreux que dans les années quatre-vingt.

C’est repenser la ville ?

Il faut aussi la densifier. Une ville durable, c’est une ville dense. Il faut avoir le courage d’en finir avec la périurbanisation, l’étalement… Mais ce n’est pas produire de la densité pour les promoteurs et les investisseurs, ce qu’on fait depuis quarante ans. Plutôt construire des formes urbaines avec des accès extérieurs pour chacun, des services collectifs. En Suisse, qui n’est pas un pays communiste, des immeubles avec une buanderie pour tous les habitants se développent. On sait faire tout cela.

Qu’est-ce qui coince ?

Des initiatives locales existent, mais elles restent dans les marges. Les villes ne peuvent pas agir contre tout un système. Seuls les États pourraient le faire, mais ils ont pris l’habitude de plier le genou. Sauf pendant la pandémie, où le quoiqu’il en coûte s’est imposé, nous renonçons à la soutenabilité environnementale, à la justice, et même à la démocratie au nom de la croissance, supposée apporter à tous bonheur et prospérité. Dans de nombreux cas, l’économie est tellement surdéterminante qu’on est prêt à accepter toutes les concessions : pollution aux particules fines, pratiques agricoles prédatrices en eau, pesticides, utilisation inconsidérée du plastique…

Des solutions ?

Repenser le modèle économique, renoncer aux chimères qui nous nourrissent depuis quarante ans. Pour faire en sorte que l’environnement, le « faire société » et la démocratie ne soient pas des variables d’ajustement. On ne construit pas la durabilité les yeux rivés sur les chiffres de la croissance en disant aux citoyens « nous vivons des temps difficiles, il va falloir travailler davantage ». C’est donc aux individus de redevenir les acteurs d’un projet utopique et non pas les clients passifs d’un système économique fragile.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Consommation, #préserver les ressources

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
Merci pour cet article intéressant. Il est bon de lire les initiatives qui on déjà été prises çà et là. <br /> <br /> Je cite la dernière phrase "C’est donc aux individus de redevenir les acteurs d’un projet utopique et non pas les clients passifs d’un système économique fragile."<br /> Je vois, entre autres, deux obstacles importants à cette participation utopique: le gouffre entre les plus riches et les plus pauvres, et, surtout: l'effet d'une crétinisation générale par les médias.
Répondre
R
Merci Toll de cet avis.<br /> <br /> Oui les problèmes que tu soulèves sont réels.<br /> A chacun de choisir ses sources d'information pour ne pas devenir (ou rester) crétin et à agir face aux élus, aux élections, manifestations, luttes locales et nationales.