Menace sur l'arnica sauvage

Publié le 8 Août 2023

Fabien Dupont (à droite), chargé de mission Natura 2000 au parc naturel régional des Ballons des Vosges, le 4 juillet 2023 sur une parcelle protégée du Markstein (Haut-Rhin)

Fabien Dupont (à droite), chargé de mission Natura 2000 au parc naturel régional des Ballons des Vosges, le 4 juillet 2023 sur une parcelle protégée du Markstein (Haut-Rhin)

paru sur franceinfo le 10/7/2023
transmis par Francis-* Merci Francis

"L'arnica menace de disparaître" : dans les Vosges, l'annulation de la récolte de cette fleur sauvage fait craindre le pire
La récolte de l'arnica sauvage au Markstein a été annulée pour la deuxième année consécutive en raison du réchauffement climatique. Ce qui oblige les acteurs locaux à s'adapter et se tourner vers la culture.
Article rédigé par Paolo Philippe - De notre envoyé spécial au Markstein (Haut-Rhin) et au Tholy (Vosges)
France Télévisions

e long de la départementale 430 qui traverse le Markstein (Haut-Rhin), le Tour de France est partout. Une cycliste sprinte sous l'affiche annonçant l'arrivée de la 20e étape dans la petite station alsacienne, un restaurant d'altitude diffuse l'étape du jour, et plus loin, deux hommes au comptoir parlent de ce fameux 22 juillet. "On attend 15 000 personnes, ça va être fou", s'enthousiasme le serveur, mardi 4 juillet. De son côté, l'employé du parc naturel régional des Ballons des Vosges prie pour que "les spectateurs ne foutent pas trop le bordel et ne campent pas n'importe où".

Il faut dire que la saison a déjà été assez dure comme ça. La récolte d'arnica sauvage, cette plante de moyenne montagne utilisée par l'homéopathie, qui lui prête des vertus pour apaiser les petits bobos, a été annulée fin juin pour la deuxième année de suite dans ce site situé à 50 kilomètres de Colmar, qui culmine à 1 265 mètres d'altitude et offre une vue panoramique sur l'Alsace d'un côté et la Lorraine de l'autre.

"D'habitude, c'est tout jaune"

Les 120 hectares protégés et classés Natura 2000 – des sites de l'Union européenne distingués pour leur faune et leur flore – abritent près de 80% de la récolte française, font la fierté du coin et le bonheur des laboratoires. Ces derniers ont longtemps récolté ici des tonnes d'arnica pour en faire des granules, des huiles et des crèmes. "C'est un emblème, un étendard", certifie Fabien Dupont, chargé de mission Natura 2000 au parc naturel et responsable de la réglementation de la cueillette autour du Markstein.

Sous ses yeux, l'une des parcelles protégées où pousse l'arnica de montagne (arnica montana de son vrai nom) oscille entre le vert et le jaunâtre. Ici et là, on en trouve quelques-unes, avec leurs feuilles veloutées à la base, leur fine tige et leur fleur jaune-orangé. "D'habitude, c'est tout jaune, comme Les Tournesols de Van Gogh. Il y a encore cinq ou six ans, il y en avait partout, tous les 30 centimètres, et la récolte prenait plusieurs jours. Là, on trouve de l'arnica à l'état de floraison tous les 100 mètres et en 2-3 heures, c'est fini", souffle Fabien Dupont.

De l'arnica sauvage sur le site du Markstein (Haut-Rhin), le 4 juillet 2023. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Face à ce constat, la récolte prévue début juillet a été annulée. Les différents acteurs de la convention Arnica Hautes-Vosges – un accord pour la préservation de la fleur lancé en 2007 qui regroupe élus, agriculteurs et cueilleurs – attribuent cette année vierge aux fortes chaleurs de juin et à l'absence de précipitations, deux conséquences du réchauffement climatique causé par l'homme. "Depuis les années 2000, on a observé que la floraison a été faible l'été quand il a peu neigé l'hiver", explique Fabien Dupont, qui déroule le CV de la plante : une "fleur fragile" qui a besoin d'un manteau neigeux en hiver, s'épanouit sur un sol acide, mais disparaît dès que l'activité humaine y est trop forte.

Sous peine de faire disparaître l'arnica, les agriculteurs du coin, qui exploitent une partie des parcelles protégées, ont ainsi interdiction de répandre du fumier et de pratiquer le chaulage (une technique agricole qui consiste à apporter des amendements calciques pour remédier à l'excès d'acidité de la terre).

Une récolte passée de 10 tonnes en 2015 à 1,7 tonne en 2019

La récolte, autrefois abondante, a décliné depuis quelques années. De près de 10 tonnes en 2015, la récolte est ainsi passée à 1,7 tonne en 2019, avant de totalement plonger depuis trois ans, malgré l'instauration de quotas. Pour Fabien Dupont, "l'arnica sauvage menace de disparaître", ce qui reléguerait aux archives la grande tradition "des cueilleurs vosgiens".

Clément Urion est un de ceux-là. Le regard de ce paysan herboriste s'illumine quand il évoque la récolte de l'arnica, dont la saison s'ouvrait autour du solstice d'été, à la fraîche. "La première arnica que j'ai cueillie, je ne l'ai pas vue car il faisait nuit, se marre cet enfant de la région. On se levait à 2 heures du mat' et on commençait à cueillir l'arnica à 4 heures. On cueillait à genoux, ça nous brûlait les doigts, mais c'était magique : on avait de l'arnica en abondance. Et puis, c'est le plus vieux métier du monde, on récoltait ce que la nature nous donnait."

Sur son terrain du Tholy (Vosges) situé au fond d'une forêt de sapins et d'épicéas, l'herboriste cultive de la lavande, du bleuet, de la menthe et des plantes aromatiques qu'il transforme et revend en huiles essentielles, cosmétiques naturels et tisanes. L'arnica sauvage était l'un de ses produits phares. "On cueillait dix kilos de fleurs fraîches et cela nous faisait notre année", explique celui qui en récoltait aussi pour un laboratoire. "On était 60 sur le site, dont 15 pour Weleda [l'un des exploitants historiques], et on récoltait plusieurs tonnes."

L'herboriste Clément Urion cueille une fleur d'arnica de culture, le 5 juillet 2023 au Tholy (Vosges). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Le responsable des cueilleurs d'arnica sauvage dans les Vosges parle au passé. "On savait tôt ou tard que ça allait arriver, mais là, c'est la claque finale", estime-t-il. Il s'interroge aussi sur l'impact sur la fleur des "récoltes industrielles" effectuées pendant des années.

Alors que la récolte a été annulée en raison de la sécheresse et des fortes chaleurs de juin, une association environnementale conteste le discours officiel partagé par de nombreux acteurs locaux. "Le réchauffement climatique est un prétexte, il y a de l'arnica sur le bord des routes, loin des parcelles protégées", avance Dominique Humbert. Le président de SOS Massif des Vosges met en cause "les pratiques agricoles inappropriées avec le chaulage et les amendements" de la terre, "l'artificialisation massive du massif" du Markstein ou encore l'impact des laboratoires, "des prédateurs qui arrachaient toute la plante et ont contribué à diminuer sa reproduction".

S'il n'existe pas de chiffres consolidés sur le déclin de l'arnica sauvage dans les Vosges, une étude scientifique publiée dans la revue Nature en 2018 constate un déplacement des espèces végétales vers les sommets des montagnes en Europe en raison du réchauffement climatique. Chercheur au CNRS en écologie forestière à l'université de Picardie Jules-Verne, Jonathan Lenoir confirme :

 

"L'arnica montana progresse beaucoup sur les massifs de haute montagne en Europe, surtout dans les Alpes, ce qui semble concordant avec son déclin à basse altitude, comme dans les Vosges."

Jonathan Lenoir, chercheur au CNRS en écologie forestière à l'université de Picardie Jules-Verne

à franceinfo

"Les espèces colonisent les sommets, qui sont devenus plus propices à la germination en raison du réchauffement climatique. Mais le déclin de l'arnica n'est peut-être pas lié qu'à ça, il est multifactoriel et il ne faut pas négliger l'impact de l'activité humaine sur les sols, les changements de paysages", ajoute ce spécialiste.

Pour endiguer le phénomène, le département des Vosges a lancé en 2018 une expérimentation de réimplantation de l'arnica sauvage sur le massif vosgien. Six sites répartis sur les communes de Gérardmer, La Bresse et Xonrupt-Longemer ont été choisis, et 500 plants d'arnica originaires du Markstein voisin et cultivés en pépinière ont été réintroduits là où elle était déjà présente. Avec un résultat mitigé. "Cela va de 0 à 30% de taux de reprise selon les endroits", soupire Dominique Peduzzi, conseiller départemental en charge de la montagne, sur le site le plus abondant, situé à flanc de montagne, à une dizaine de kilomètres du Markstein.

Dominique Peduzzi, conseiller départemental en charge de la montagne, sur l'un des sites de réimplantation de l'arnica sauvage, le 5 juillet 2023 à Xonrupt-Longemer (Vosges). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Si la filière de la cueillette d'arnica génère un chiffre d'affaires de l'ordre d'un million d'euros selon la préfecture du Grand Est (document PDF), ainsi qu'une importante économie indirecte avec ses dérivées, le département des Vosges tente surtout de préserver un symbole local. "L'arnica, c'est notre fierté, quelque chose que l'on ne trouve pas ailleurs. On veut qu'elle reste dans les Vosges, admet Dominique Peduzzi. On est à la croisée des chemins."

L'industrie de l'or jaune se tourne vers la culture

Face à la raréfaction de l'arnica sauvage, la petite industrie de l'or jaune se tourne désormais vers l'arnica de culture. Dans le coin, la pépinière de la Demoiselle, située dans la vallée de Remiremont à une heure de route du Markstein, a percé il y a bientôt dix ans le secret de l'arnica. Son cogérant, Lionel Ehrhart, en a récolté 50 kilos cette année et fournit les sites de réimplantation, les producteurs locaux et même les laboratoires, qui misent sur l'arnica de culture. Prix de vente : 240 euros le kilo de fleur sèche, soit le double du prix de l'arnica sauvage.

L'entreprise Boiron, qui récoltait encore "plusieurs tonnes d'arnica sauvage" chaque année au Markstein pour ses préparations homéopathiques, s'approvisionne dorénavant à 90% en culture, explique à franceinfo Mélanie Bayard, responsable des achats de plantes pour le groupe.

Entre la lavande et les bleuets, Clément Urion a, lui aussi, commencé il y a quelques années à cultiver de l'arnica, "juste pour voir". Cette année, il en a tiré quelques kilos, et même s'il espère toujours que les prochaines années offriront encore un peu d'arnica sauvage sur les sommets – il milite pour que la récolte soit réservée aux petits producteurs. Le paysan herboriste l'annonce : "L'an prochain, il faut qu'on soit autonome en culture." Pour la photo, il arrache les quelques fleurs d'arnica qui sont arrivées tardivement, les roule dans ses mains et les approche de son nez. "Ça sent bon, non ?"

Rédigé par ANAB

Publié dans #Changement climatique

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article