Lucioles et vers luisants, des « bêtes féroces »

Publié le 13 Août 2022

paru sur Reporterre le 20/7/2022

L’observatoire des vers luisants et des lucioles réalise une enquête participative pour connaître les populations de ces insectes lumineux. S’appuyant sur un réseau de 15 000 citoyens, il constate un déclin largement causé par l’humanité.

Vers luisants et lucioles émettent une lumière verte pendant l'été, grâce à la réaction chimique de molécules nommées luciférine et luciférase.

Vers luisants et lucioles émettent une lumière verte pendant l'été, grâce à la réaction chimique de molécules nommées luciférine et luciférase.

Trois points brillants dans l’obscurité. La dernière fois qu’Éric Descourvières a aperçu des vers luisants, c’était à la fin du mois de juin, devant sa maison de Tallenay, un village du Doubs. « Je les ai découverts par une belle nuit noire en bordure d’une route communale, en lisière de prairie. Enfant, j’avais l’habitude de les observer. Cela m’a fait plaisir d’en revoir », raconte l’enseignant. Quelques jours plus tard, photo à l’appui, il consignait son observation dans un formulaire en ligne.

En effet, depuis 2015, une enquête participative vise à mieux connaître les populations de vers luisants et de lucioles en France. Souvent confondus, ces coléoptères de la famille des lampyridés diffusent tous une lumière verte pendant l’été. La bioluminescence résulte de la réaction chimique entre deux molécules nommées luciférase et luciférine avec l’oxygène. Rien de diabolique là-dedans : en latin, lucifer signifie « ce qui apporte la lumière ». Chez les vers luisants, cette propriété revient uniquement à la femelle qui, dépourvue d’ailes, reste immobile et s’éclaire en continu pour attirer un mâle. Du côté des lucioles, les deux genres sont ailés et bioluminescents ; ils clignotent en émettant des flashs de lumière très brefs.

Un ver luisant (Lampyris noctulica), la principale espèce présente en France

Un ver luisant (Lampyris noctulica), la principale espèce présente en France

Autrefois communs, ces insectes — une douzaine d’espèces en France — ont été peu étudiés. « En fait, on ne sait pas grand-chose sur eux. Ce ne sont pas de jolies bêtes comme les papillons ou les scarabées avec de belles couleurs ; ils n’intéressent pas les entomologistes », regrette Marcel Koken, chercheur en biologie moléculaire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Ce spécialiste de la bioluminescence pilote l’observatoire des vers luisants et des lucioles avec Estuaire, un groupe associatif vendéen qui a initié d’autres programmes participatifs sur les bourdons, les hérissons, les mares et les libellules.

15 000 observateurs en France

Compagnons à la fois magiques et mystérieux des soirées estivales, les vers luisants convenaient bien à une enquête destinée à réunir le maximum de contributeurs volontaires. Pour ce type de projet de science citoyenne, mieux vaut, effectivement, miser sur des espèces dotées d’un capital de sympathie. Et cela fonctionne. Grâce au relais local de 169 associations naturalistes, 15 000 observateurs répondent chaque année à la question suivante : avez-vous déjà vu un ver luisant ou une luciole ?

« C’est une enquête grand public à laquelle participent des gens qui ne sont pas dans notre réseau habituel », témoigne Bertrand Cotte. L’entomologiste amateur, coléoptèriste et membre de l’Office pour les insectes et leur environnement Franche-Comté, supervise la collecte de données dans sa région. En Bourgogne-Franche-Comté, 421 observations ont été recensées en 2021, grâce au travail de mobilisation de l’Observatoire régional des invertébrés.

es larves de vers luisants se nourrissent exclusivement d’escargots et de limaces.

es larves de vers luisants se nourrissent exclusivement d’escargots et de limaces.

Premier objectif de l’observatoire national : tenter d’évaluer et de localiser les populations. « Tout le monde dit "les vers luisants, on n’en voit plus". Alors on a voulu savoir s’il y en avait vraiment moins ou si c’est le changement de nos comportements qui nous rend moins attentifs », explique Marcel Koken. Résultat : les lampyres n’ont pas échappé au déclin général de l’entomofaune. « Si on se réfère aux anciens récits dans la littérature, il y a une vraie baisse. On ne retrouve plus les quantités décrites dans les articles », constate le chercheur du CNRS. On sait également que la principale espèce en France, Lampyris noctulica, est présente partout, même si la situation est plus dégradée dans le nord du pays. Les lucioles, elles, n’ont été signalées qu’autour de Nice et en Corse.

Des herbes hautes, de l’ombre et un peu d’humidité : c’est tout ce dont a besoin le ver luisant. « Il n’est pas très exigeant. On le trouve dans les jardins, les prairies, les bords de haie, les chemins forestiers, recense Bertrand Cotte. Et il lui faut aussi des limaces et des escargots. » Les larves (que l’on peut observer toute l’année) se nourrissent exclusivement de gastéropodes. Des animaux pourtant plus gros qu’elles, à qui elles réservent un sort funeste. « Ce sont des bêtes féroces, souligne Marcel Koken. Elles se jettent sur leur proie pour la mordre à plusieurs reprises. Le poison injecté la paralyse puis finit par la liquéfier. »

Leurs ennemis : pesticides, lampadaires et fauchage

L’appétit de ces coléoptères en fait donc de précieux auxiliaires pour les jardiniers qui se désolent de voir leurs salades englouties par les limaces. L’utilisation de pesticides — et notamment de granulés antilimaces et escargots — apparaît comme l’une des principales causes de raréfaction des vers luisants. « Ils sont aussi perturbés par les lumières nocturnes qui désorientent les mâles. Il faudrait éteindre les lampadaires, les équiper de détecteurs d’approche ou orienter la lumière vers le bas, poursuit le gestionnaire de l’observatoire. L’abus de fauchage a également un impact. L’idéal serait de faucher l’herbe avant la mi-mai, puis après la mi-septembre et essayer de ne pas couper partout si ce n’est pas nécessaire. »

L’enjeu du programme scientifique de l’observatoire des vers luisants et lucioles est double : produire de la connaissance grâce à des contributions citoyennes mais aussi sensibiliser à l’effondrement de la biodiversité et au déclin alarmant des populations d’insectes. « L’enquête aide à communiquer sur une espèce phare pour pointer la régression de l’ensemble des insectes, y compris les plus communs », estime l’entomologiste franc-comtois.

Photinus signaticollis : cette luciole exotique invasive est récemment arrivée en France et potentiellement problématique. Elle se nourrit en effet de vers de terre

Photinus signaticollis : cette luciole exotique invasive est récemment arrivée en France et potentiellement problématique. Elle se nourrit en effet de vers de terre

Sauf que les moyens de l’observatoire sont trop limités pour atteindre pleinement cet objectif. Le programme est soutenu uniquement par le Département de la Vendée, ce qui ne permet pas de financer un poste de salarié afin de développer le réseau des observateurs et exploiter la base de données constituée depuis 2015. « Il n’y a pas de modèle économique viable pour ce genre de dispositif, déplore Fabien Verfaillie, le président d’Estuaire. On est frustrés de ne pas accomplir notre mission dans de bonnes conditions. On arrive juste à faire des constats alors qu’on aimerait pouvoir organiser les données de façon à réfléchir à des actions de conservation. »

10 kilomètres par an

Un élément pourrait inciter les pouvoirs publics à s’intéresser davantage aux lampyres : la découverte, en 2020, dans les Pyrénées-Orientales, d’une nouvelle espèce de luciole. Originaire d’Amérique du Sud, elle a été introduite en Espagne en 2016. Repéré par des programmes participatifs ibériques, le lampyre à corselet marqué a été déclaré comme potentiellement invasif et à surveiller par l’Office français de la biodiversité et l’Union internationale pour la conservation de la nature.

À raison de 10 kilomètres par an, l’espèce connaît une expansion rapide pour ce type d’insecte. Autre problème : les larves ne se nourrissent pas de limaces et d’escargots mais de vers oligochètes, les vers de terre indispensables à la vie des sols. « Les vers de terre souffrent déjà d’énormes pressions, notamment à cause d’une autre espèce envahissante, le ver plat. Cela peut être catastrophique, y compris pour l’humain avec des pertes de rendements agricoles et des sols compactés qui augmentent les risques d’inondation », s’inquiète Fabien Verfaillie. L’écologue veut croire « que, localement, le Département ou la Région accepteront de nous accompagner pour comprendre ce qui se passe et évaluer le risque associé au développement de cette espèce ». Une lueur d’espoir.

Rédigé par ANAB

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B
Malgré quelques sorties nocturnes, je n'ai pas réussi à en voir. Triste !
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R
Merci Bernard de ce commentaire. Oui, Vraiment dommage de ne plus voir ce beau dpectacle