Les faucons menacés gagnent contre les éoliennes d’EDF

Publié le 12 Avril 2021

Les faucons menacés gagnent contre les éoliennes d’EDF

paru sur reporterre le 2/4/2021

La justice vient de condamner EDF Renouvelables pour la mort de dizaines de faucons crécerellettes sur des parcs éoliens dans l’Hérault, ne possédant pas de dérogation à la destruction de cette espèce protégée. Une décision importante dans le délicat dossier des conséquences des éoliennes sur les oiseaux et chauve-souris. La filière pourrait être contrainte d’éloigner ses pales des zones fréquentées par les espèces protégées.

Le 2 mars dernier, la cour d’appel de Versailles a condamné sept sociétés éoliennes, toutes filiales d’EDF Renouvelables, pour la mort de faucons crécerellettes : le producteur d’électricité ne disposait pas d’autorisation ni de dérogation à la destruction de cette espèce menacée d’extinction.

L’affaire se situe sur le causse d’Aumelas, à l’ouest de Montpellier, une des dernières grandes réserves de biodiversité de la plaine de l’Hérault. En 2002, Alain Ravayrol, naturaliste spécialiste des rapaces, y aurait découvert une petite colonie de faucons crécerellettes (Falco naumanni), « une espèce très grégaire, qui niche dans les villages autour de sa zone de chasse ». C’est dans ce secteur, avec plusieurs aires classées « zones de protection spéciale » pour l’avifaune, qu’EDF Renouvelables a entrepris, via des filiales, la construction de trente-et-une éoliennes.

Dès 2011, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de l’Hérault, chargée du suivi de mortalité obligatoire sur tous les parcs éoliens, a relevé au pied des mâts deux cadavres de faucons crécerellettes. Puis trois autres en 2012. La branche locale de l’association environnementale connaît bien le sujet puisqu’elle avait participé à l’élaboration de l’étude d’impact des projets qui répertoriait alors une vingtaine de couples d’oiseaux. L’étude concluait que « le risque de mortalité apparaît très faible et insuffisant pour compromettre l’augmentation de la population ».

Depuis, la LPO de l’Hérault travaille avec EDF pour réaliser les suivis de mortalité des espèces, notamment dans le cadre du Plan national d’actions en faveur du faucon crécerellette. Une manière de « comprendre et caractériser finement les impacts en accompagnant la filière pour les réduire », précise Nicolas Saulnier, directeur de la LPO dans l’Hérault. Une ressource financière également non négligeable pour l’association, puisqu’elle représente 5 à 10 % de son budget annuel.

Multiplier par « trois ou quatre la mortalité observée »

La découverte des premiers cadavres recensés a poussé EDF Renouvelables à équiper, en 2013, le site de deux machines dites DTBird — des dispositifs de détection et d’effarouchement — avant d’être contrainte par les services de l’État d’en installer l’année suivante dans l’ensemble du parc. Mais l’efficacité s’est avérée relative sur les faucons crécerellettes, qui ont continué de mourir sous les pales d’Aumelas : on en compte cinq en 2013, quatre en 2014 comme en 2015, et sept en 2016.

Au-delà des constats directs, il y a tous les oiseaux non détectés, car rapidement récupérés par des prédateurs comme les renards, « sans oublier les conséquences sur les nichées qui dépendent de la nourriture rapportée par l’oiseau abattu », explique Alain Ravayrol. Selon le spécialiste, il faut « au minimum multiplier par trois ou quatre la mortalité observée » pour obtenir une estimation plus fiable. Et le faucon crécerellette n’est pas la seule victime : « Ces éoliennes flinguent des busards cendrés, des martinets, des martins-pêcheurs et des passereaux », s’alarme le naturaliste. La situation inquiétait même au sein de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Occitanie, d’où a émergé en 2019 un rapport de manquement demandant une mise en demeure rapide d’EDF Renouvelables. Mais la hiérarchie de l’administration ne l’a pas fait.

 
 
Des éoliennes dans le causse d’Aumelas.

Des éoliennes dans le causse d’Aumelas.

« Jamais je n’ai vu un dossier aussi monolithique », dit à Reporterre Olivier Gourbinot, juriste de France Nature Environnement (FNE) en Languedoc-Roussillon. Plutôt que d’attaquer l’État, « qui n’agit pas pour faire respecter le droit de l’environnement », FNE a porté l’affaire au civil afin de faire reconnaître la responsabilité des exploitants des éoliennes. L’enjeu : vérifier si ces derniers ont le droit de détruire des espèces protégées sans détenir de dérogation pour cela.

Ce 2 mars, la justice a tranché : « La destruction d’un seul spécimen d’une espèce animale non domestique protégée (art. L.411-1°, du Code de l’environnement) est susceptible de constituer une infraction pénale. » Dès lors, peu importe que des dispositifs d’effarouchement aient été mis en place, si la mortalité se poursuit et que l’exploitant n’a pas demandé de dérogation à la destruction d’espèces protégées (DEP), il est juridiquement en faute. Dans cette affaire, EDF Renouvelables a indiqué à Reporterre « prend[re] acte de ce jugement » et qu’il était « trop tôt » pour communiquer sur un éventuel pourvoi en cassation contre la décision de justice, qui a condamné ses filiales à verser à FNE un total de 3 500 euros pour le préjudice moral.

D’autres parcs à risque

Mais surtout, c’est une décision de justice qui pourrait avoir des conséquences sur de nombreux autres parcs éoliens. Jusqu’ici, les exploitants considéraient qu’ils n’étaient pas responsables d’une mortalité « accidentelle » d’oiseaux, et qu’ils n’avaient donc pas besoin d’obtenir une dérogation à la destruction d’espèces protégées (DEP). Depuis 2010, le guide de bonnes pratiques corédigé par la filière éolienne et édité par le ministère, exempte d’ailleurs dans les faits la quasi-totalité des parcs éoliens de recourir à cette DEP.

Pourtant, « l’intérêt d’une telle dérogation est bien de vérifier s’il y a une atteinte ou non à la préservation de l’espèce », explique Olivier Gourbinot. Cette dérogation, qui nécessite un avis du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), donne ainsi du poids aux actions menées en justice par des associations et dissuade les projets les plus néfastes pour la biodiversité.

« En théorie, on devrait régulariser la quasi-totalité des parcs du pays. »

« Le développement éolien doit constamment trouver un équilibre entre les objectifs de protection des espèces et ceux de la transition énergétique », dit à Reporterre Antoine Guiheux, avocat au barreau de Paris et administrateur de France Énergie éolienne (FEE). L’association, qui représente les intérêts des promoteurs éoliens — mais pas ceux d’EDF Renouvelables — convient dans ce dossier « d’une forme de résistance de l’exploitant » à aller chercher la DEP. Mais qui s’explique aussi selon lui : « Il y a quelque chose d’anxiogène à aller chercher une autorisation, sans être fixé sur son issue, pour un parc déjà en fonctionnement. » Pour lui, « l’analyse au cas par cas est toujours utile et préférable à des mesures généralisées ». Le responsable de la filière préfère croire en une portée limitée de cette décision de justice et dit ne pas craindre de vague de recours contre d’autres projets, le cas d’Aumelas étant « extrêmement particulier dans le nombre comme dans la durée durant laquelle les mortalités ont été observées ».

Les associations environnementales, elles, voient des effets plus larges à cette décision. « En théorie, on devrait régulariser la quasi-totalité des parcs du pays, estime Olivier Gourbinot, de FNE, qui préfère cibler son action. Ce sont surtout les parcs les plus à risque qui vont être visés. » Trois autres notamment le sont dans la même région : à Sévérac d’Aveyron, quatorze chauves-souris et dix-sept oiseaux, dont trois vautours fauves et un verdier d’Europe, ont été tués en 2018 et 2019. À Assac, dans le Tarn, ce sont un faucon crécerellette et deux circaètes Jean-le-Blanc qui furent fauchés en 2020. Et sur le Larzac, ce sont des éoliennes non fonctionnelles qui ont quand même tué un vautour fauve en 2020. « Le parc ne fonctionnait pas, mais en raison d’un fort vent les pales tournaient quand même », soupire Vincent Ramard, chargé de la mission juridique à la LPO France. Il espère que la décision de la cour d’appel de Versailles permettra à l’administration d’être « plus encline et confiante à imposer aux pétitionnaires qu’ils déposent une telle demande de dérogation ».

Localement, la LPO de l’Hérault suggère que son partenariat avec le développeur éolien « soit susceptible d’évoluer drastiquement ». Quant à Aumelas, les éoliennes continuant d’être en activité à cette heure, FNE vient d’envoyer un courrier pour demander à la préfecture de l’Hérault d’intervenir auprès de l’exploitant et réclamer rapidement le dépôt d’une dérogation à la destruction d’espèces protégées. L’association se déclare également prête à attaquer cette fois au pénal en cas de nouvelle destruction d’espèces postérieure au jugement de la cour d’appel de Versailles.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Protection animale

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