Plongée dans le monde des insectes

Publié le 14 Juillet 2023

 François Lasserre,

François Lasserre,

paru sur Lavie le 11/7/2023
 

L’entomologiste François Lasserre, vice-président de l’Office pour les insectes et leur environnement (Opie), invite à changer de regard sur les insectes et arthropodes terrestres, souvent mal-aimés, qui peuplent nos campagnes et nos villes. Reportage en sa compagnie au parc de Bercy, à Paris.
Par Stéphanie Combe

Une légère odeur de vase chatouille les narines. Bordé de roseaux, un bassin du jardin public du parc de Bercy recueille une eau stagnante qui vire au vert. François Lasserre s’approche à pas de loup. D’un coup de poignet vif et précis, il lève son filet à papillon jaune et attrape une libellule. Un coup de maître. « C’est un peu le graal, ces insectes, admet-il, mais je les aime tous ! » En tee-shirt et sandales, cet homme de 55 ans à la barbe blanche est entomologiste – spécialiste des insectes et autres arthropodes terrestres.

Il saisit délicatement le gracieux animal par son abdomen bleu fuselé et le sort en maintenant avec deux doigts ses ailes nervurées. Une passante se réjouit de la trouvaille : « Ah, les libellules, il y en a de moins en moins ! » Il acquiesce et précise : « C’est l’une des rares espèces qui supportent nos pièces d’eau citadines : elles se contentent des larves de moustiques et de vers de vase. » Puis il poursuit les présentations : « Tous ses muscles sont là, dans le thorax. Regardez ses yeux verts, vous voyez ? » On distingue à travers la loupe comme une infinité de pixels. « Il y a 10 000 facettes sur chacun ; elle voit à 360° ! » Il continue son inspection. « Ah, c’est un garçon ! Son appareil copulateur est ici ; la femelle doit recourber son abdomen lors de l’accouplement, c’est pourquoi un cœur se forme. » Une poule d’eau au plumage noir s’approche, plonge son bec rouge vif dans l’eau, puis disparaît dans les hautes herbes.

L'entomologiste a repéré une pièce de choix

Des pollinisateurs hors pair

Des allées dallées traversent les parterres aménagés. « Évidemment, je préfère les herbes folles à ce gazon ras… » L’été, au soleil, une herbe non coupée maintient le sol à 19,5 °C ; une herbe coupée fait s’élever la température à 24,5 °C ; un sol nu monte à plus de 40 °C… Des abeilles dansent au-dessus d’un massif de plantes aux feuilles immenses et découpées, dont les tiges aux corolles mauve et blanc se balancent gracieusement. François Lasserre sort son smartphone et les photographie avec l’application PlantNet. Verdict : des acanthes.

« De nombreuses plantes ornementales ont été croisées pour obtenir de grosses fleurs, comme l’hortensia. Seuls les pollinisateurs qui ont de longues langues, tels le bourdon ou l’abeille charpentière, parviennent au nectar. L’acanthe est l’une des rares qui leur plaisent. » Nota bene : privilégier la plantation d’aromatiques. « Rien ne vole au-dessus de ces rosiers hybrides ! La preuve avec cette abeille domestique : elle tente, elle cherche, mais elle repart bredouille… »

« Ici du lin rouge, parfois il attire. » Le nez à quelques centimètres d’une abeille qui butine fait découvrir avec émerveillement le pollen qu’elle a aggloméré. « Ce sont des pelotes de pollen qu’elle place sur ses pattes arrière, dans ses corbeilles. » Étape indispensable à la formation des fleurs, des fruits et des légumes, la pollinisation est réalisée par le transport du pollen de l’étamine (organe mâle) vers le pistil (organe femelle). En France, trois quarts des cultures vivrières en ont besoin. Un transport essentiellement assuré par les insectes, et quelques araignées.

François Lasserre insiste sur la diversité des pollinisateurs : plus de 10 000 espèces d’insectes en France, dont environ 1 000 d’abeilles, mais surtout des milliers de mouches, y compris la fameuse verte – l’instant semble inopportun d’avouer l’aversion qu’elle suscite et les crimes commis à son endroit –, guêpes, frelons, papillons, sans compter moustiques, taons, sauterelles, gendarmes (une variété de punaises).

La libellule est saisie par son abdomen bleu fuselé

Découvrir la biodiversité

Ombragée par la canopée, une passerelle en arc-de-cercle enjambe une rue, donnant accès à un nouvel espace vert. En chemin, on interroge l’expert sur les bébêtes mal-aimées : ne craint-il pas les tiques ? Il hausse les épaules. « Je me fais souvent mordre, mais la maladie de Lyme reste très rare. » Et les guêpes ? « Elles ne piquent quasiment pas. » Le frelon asiatique ? « Inoffensif si son nid est hors de portée, à plus de 5 m. »

L’entomologiste pourfend les préjugés à son sujet : ni plus agressif, ni plus grand que le frelon européen, il ne menace pas l’abeille domestique dans son ensemble ; ses très rares piqûres sont comme celles des autres hyménoptères (abeille, guêpe), ennuyeuses pour les quelques personnes allergiques. Quant aux mites, ne sont-elles pas des plaies pour nos effets ? Rien n’y fait, il connaît leur intérêt : « L’évolution a fait d’elles des recycleurs de poils. »

Cinq canards traversent bruyamment le ciel. « Des perruches à collier, corrige-t-il, une belle espèce exotique introduite en Europe dans les années 1980. » Il s’interrompt et pointe du doigt un fourré d’où jaillissent des fleurs mauves : « Là, un bourdon terrestre ; ici, une abeille sauvage ! » Sitôt aperçue, sitôt capturée et transférée dans un tube. Un genou à terre, il l’observe et détaille : « Cette solitaire, qui vit moins d’un an, féconde de nombreuses fleurs et ne produit pas de miel. » L’espèce disparaît depuis les années 1980, pour différentes raisons – monoculture ou cultures non pollinifères (blé, vigne), suppression des bocages et des haies, pesticides, concurrence des abeilles domestiques élevées pour leur miel. Il la prend dans sa main, la relâche, et poursuit la balade.

Autour d’un massif méditerranéen aménagé, où s’épanouissent lavandes et oliviers, un papillon blanc volette. Une longue tonnelle offre une ombre rafraîchissante. « Et cette bête affreuse ? », interroge la photographe. « Un bébé coccinelle ! » Interloquées, nous fixons ce qui nous semblait ressembler à un cloporte. Dans l’eau du canal aménagé, un chien s’ébat et jappe de bonheur.

Vue à la loupe, la libellule révèle toutes ses facettes

Des expériences à vivre en famille

Nous empruntons un escalier pavé où a été laissé le tronc d’un arbre coupé, haut de 3 m. « Ah ça, c’est propice, approuve l’entomologiste. Dans ces trous, creusés par des insectes xylophages, les abeilles ou guêpes solitaires peuvent nicher, par exemple. » Sur le gazon, entre deux Parisiens qui bronzent, un oiseau sautille, un ver dans le bec. « Un étourneau sansonnet ! Attendez de le voir au soleil… » De terne, le plumage de ce passereau apparaît en effet coloré. « Il peut avoir des reflets bleus, verts, roses, c’est peut-être le plus bel oiseau de France ! »

De retour à l’entrée du parc, François Lasserre se penche et tend le bras vers un col vert peu farouche qui s’approche aussitôt, suivi de sa compagne. Intéresser les enfants ? Il cite le dispositif participatif Spipoll (spipoll.org) proposant de photographier pendant 20 min les insectes se posant sur un même massif de fleurs. « Il existe des milliers d’espèces dont on connaît très peu les mœurs ! »

Dans le cadre de Jardins ouverts, il organise « une nuit sous les étoiles de la forêt » à Rosny-sur-Seine (Yvelines), le 8 juillet 2023. Une expérience à vivre seul ou en famille, dès 2 ans. « Beaucoup en rêvent, mais n’osent faire le pas. Ils se familiarisent ainsi avec les bruits de la nuit : les aboiements du chevreuil ou du renard, les farfouillements des rongeurs. Les sangliers fuient l’odeur des humains. On découvre que le pire qui puisse arriver est de se réveiller avec une limace sur le front… » À la clé : sortir des sentiers battus et des idées reçues.

Une abeille est capturée et transférée dans un tube

Qu’est-ce qu’un insecte ?
Puceron, papillon, criquet sont des insectes, du latin insectum qui signifie « coupé en sections ». Adultes, ces invertébrés ont trois paires de pattes et leur corps s’articule en trois parties : tête munie d’antennes, thorax et abdomen. Ils passent par quatre stades de développement : l’œuf, la larve, la chrysalide et l’adulte. Il existe 1,3 million d’espèces connues, soit 85 % du règne animal, et… des millions encore méconnues ! Les insectes sont à 40 % des coléoptères dont les élytres (sorte de carapace) viennent se superposer sur leurs ailes : coccinelle, scarabée, carabe, hanneton, cétoine dorée, lucane cerf-volant, chrysomèle, charançon, etc. Alliés du jardinier pour la plupart, ils fragmentent les déchets organiques végétaux, se nourrissent de cadavres ou d’excréments d’animaux.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Insectes de chez nous, #Biodiversité hors région

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M
...et dans le tube, c'est un syrphe (ou autre diptère) <br /> Mais pas du tout une abeille :-)
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A
Tu as tout à fait raison Marie Anne, mais la journaliste n'est pas une entomologiste et a sans aucun doute mal noté cette photo ou pas bien écouté F Lasserre<br /> Roland
T
Encore un article qui devrait nous pousser à revoir nos jardins. <br /> L'incontournable "gazon", les plantes que nous privilégions suivant nos goûts - y compris celui du moindre effort - la volonté de ne pas sortir du lot. Faire le lien entre la lecture d'un article comme celle-ci et les choix que nous pouvons faire individuellement et facilement pour coopérer avec la Nature.<br /> Les sources d'information sont légion, encore faut-il vouloir s'en servir.<br /> Un exemple, parmi des milliers d'autres:<br /> https://www.pollinis.org/admin/wp-content/uploads/2021/07/guide-zone-nord-est-vdef2.pdfp
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R
Merci Toll, oui encore beaucoup d'information et de pédagogie pour faire comprendre que faire propre en fauchant trop tôt et trop souvent nuit beaucoup à la biodiversité
T
Mes excuses: ……un article comme "celui-ci"