Des insectes exotiques envahissants
Publié le 4 Décembre 2023
Le bupreste du thuya, qui figure sur une planche dédiée aux insectes exotiques envahissants réalisée par l’entomologiste Christophe Brua, transforme les haies vertes de nos jardins.
paru sur l'Alsace le 18/11/2023
signalé par Bernard . merci Bernard
Impossible de mettre le nez dehors. Ils sont partout. C’est une véritable plaie. » À l’instar d’un certain nombre de Strasbourgeois, Jean-Marc ne peut pas se relaxer sur sa terrasse sans être assailli par un tigre à deux ailes. En l’espace d’une poignée d’années, peut-être parce qu’il a été insuffisamment combattu ou parce que toute lutte ne peut qu’être vaine face à ce déboulement, ou encore parce que tout le monde n’a pas joué le jeu, le moustique tigre s’est placé au centre de bon nombre d’attentions citadines. Venu du lointain Bengale, il s’est taillé une part de lion dans le biotope alsacien, du moins dans les villes.
Davantage d’espèces en Europe Méridionale et en Amérique du Nord
Le moustique-tigre, le frelon asiatique ou encore ces fourmis pharaons très redoutées : autant de manifestations du réchauffement climatique ? Si ce dernier explique la présence de la cigale de l’Orne à Strasbourg , il n’est pas la raison principale de ce déferlement. « L’arrivée de ces espèces exotiques envahissantes s’intensifie dans tous les règnes, à l’instar de la chalarose du frêne pour les champignons. La rapidité du phénomène le rend artificiel et se nourrit des échanges commerciaux intensifs provoqués par la mondialisation de l’économie », rappelle Christophe Brua, président de la Société alsacienne d’entomologie.
Il évoque aussi une caractéristique européenne qui en fait son talon d’Achille : « Du fait des glaciations, des espèces ont disparu dans la majeure partie du continent. Cela a eu un impact sur la biodiversité et le nombre d’espèces présentes. Il y en a moins chez nous qu’en Europe méridionale ou qu’en Amérique du Nord : trois espèces de piérides ont été observées chez nous, contre 58 en Amérique du Nord, par exemple. Il y a donc un vide à combler. Dans les régions d’où proviennent ces espèces exotiques, la biodiversité y a toujours été bien plus diversifiée. » La nature s’est sentie obligée de corriger cette imperfection… que la nature humaine n’a améliorée en rien.
Le processus se massifie entre les insectes qui viennent de loin accidentellement, les migrateurs de passage comme le sphynx tête de mort , les espèces en progression et qui arrivent de l’est, par le bassin du Danube ou du sud, ou encore ceux qui ont été introduits délibérément : la coccinelle asiatique a été « recrutée » pour réduire les hordes de pucerons dans les monocultures, mais a emporté sous ses élytres un champignon qui décime notre propre bête à bon Dieu. Certains insectes particulièrement ravageurs, comme le capricorne asiatique ou la processionnaire du pin, ont pu être éradiqués en Alsace, d’autres progressent significativement comme la chrysomèle du maïs, la punaise diabolique ou encore le doryphore, voire le tigre du platane (ou punaise réticulée du platane), désormais installé presque partout. Ou encore le bupreste, un coléoptère d’un vert métallique flashy. Originaire d’Afrique du Nord, il menace la pérennité des haies de thuyas de nos jardins.
Sur 10 000 insectes observés en Alsace, 35 seulement sont exotiques / Christophe Brua
En plus du moustique tigre, cette année, c’est une araignée (ce n’est pas un insecte, NDLR), qui a défrayé la chronique. On l’appelle Nosferatu, outre-Rhin. La zoropse à pattes épineuses, que l’on a présentée comme étant venimeuse, a été observée la première fois en Alsace en 2018 sur le balcon d’un… entomologiste, André Astric, à Saint-Louis. « Elle est minuscule : le corps de celles que j’ai vues plusieurs années de suite ne dépasse pas les 2 centimètres. Cette araignée méridionale n’est pas dangereuse », insiste ce dernier. Tant mieux, on la croise de plus en plus régulièrement.
On ne voit pas que les espèces exotiques envahissantes : « Sur 10 000 insectes observés en Alsace, 35 seulement sont exotiques », rappelle Christophe Brua. D’autres sont à nos portes : on connaît dans le Grand Est le scolyte de l’épicéa qui ravage ce dernier. En Amérique du Nord, les forestiers se battent avec un cousin, le scolyte du Douglas ( Dendroctonus pseudotsugae ), qui provoque des ravages massifs sur ce continent. (Encore) absent d’Europe où il pourrait faire un carton, il fait l’objet de restrictions à l’importation de bois, pour éviter qu’il ne franchisse l’océan.
Une réalité que l’on ne peut (ou veut) pas toujours éradiquer
Tigres, sphynx et autres Nosferatu sont donc appelés à faire partie de cette nature qui nous entoure. Les insectes exotiques invasifs sont devenus une réalité que l’on ne peut (ou veut) pas toujours éradiquer. L’Europe semble devenue leur terrain de prédilection. C’est oublier que l’inverse est également vrai : le bombyx disparate, un papillon nocturne qui s’en prend à nos chênes, a été introduit aux États-Unis en 1868 pour améliorer la production de soie. La seule réussite de l’expérience a été l’essaimage de l’espèce dans toute l’Amérique du Nord en l’espace d’une trentaine d’années et la défoliation d’une partie des États-Unis en 1890… Idem pour le scolyte européen de l’orme, débarqué au Québec et qui peut détruire un arbre en un an…. Une bien maigre consolation, sachant l’accélération du phénomène depuis quelques années, accélération qui réduit d’autant les capacités d’adaptation du biotope d’accueil.
Christophe Brua présente sous la forme de tableau une partie des espèces exotiques envahissantes. Photo F Ko bi
La coccinelle asiatique forme, en hiver, de larges colonies agglutinées sous des bûches voire à l’intérieur des maisons. , ici elles reçoivent la visite d’une araignée… hostile ? Photo Christophe Brua