Le Sénat, les blaireaux et la démocratie

Publié le 8 Janvier 2024

Photo Claudy Stenger

Photo Claudy Stenger

Nous avons été nombreux à saluer la volonté d’ouverture démocratique du Président du Sénat lorsque, en janvier 2020, il a donné la possibilité aux citoyens français de saisir cette assemblée sur un sujet qui leur tient à cœur. Il s’agissait, je cite, « de revivifier le droit de pétition et faire plus de place à la démocratie participative.

La plateforme permet notamment de soumettre aux sénateurs une proposition de loi ou de la soutenir ». Il ne s’agissait rien de moins que de « revitaliser la démocratie ». Ainsi saisie, la conférence des présidents décide de la suite à donner aux rares pétitions qui arrivent à franchir le cap des 100.000 signatures dans un délais de six mois. Elle peut de ne pas en tenir compte sans autre justification, proposer un texte, ou créer une commission dédiée. 

Quatre ans après, il est normal de s’intéresser au bilan de cette initiative a priori généreuse. Combien de textes votés, de rapports rendus, et sur quels sujets ? Quelle répartition entre les sujets de société, l’environnement, le travail, les services publics etc. ? Malheureusement le site dédié https://petitions.senat.fr/ ne permet pas de voir toutes les propositions de pétitions, le nombre atteint et la suite qui leur a été donnée. Tout au plus a-t-on accès à la soixantaine de pétition encore actives, totalisant chacune de 1 à 181 signatures maximum. 

A titre d’exemple, le devenir de la pétition pour interdire le déterrage des blaireaux (vénerie sous terre) initiée par l’ASPAS et qui a recueilli 104.745 signatures entre le 30 mars et le 21 septembre 2022 est significatif. La Conférence des Présidents du 21 septembre 2022 a décidé de renvoyer cette pétition à la commission des affaires économiques. On peut s’interroger sur le choix de la commission du développement économique pour traiter d’un tel sujet plutôt que celle de l’aménagement du territoire et du développement durable ; et sur la décision de fermer la pétition. L’internaute qui retrouve cette pétition sur le net grâce aux mots clés « pétition », « sénat » et « blaireaux » https://petitions.senat.fr/initiatives/i-1012?locale=fr n’a pas accès au rapport issu de la mission sénatoriale créée à cette occasion. Il lui faudra trouver une autre adresse https://www.senat.fr/rap/r22-470/r22-47010.html 

Du reste, peut-être vaudrait-il mieux qu’il évite d’en prendre connaissance tant le rapport est subjectif, à charge contre tout idée de mettre fin à cette pratique d’un autre âge. Le rapporteur n’a pas été choisi au hasard : il a par le passé soutenu la pénalisation fiscale des donateurs aux associations relayant les messages des lanceurs d’alerte, signé une tribune contre ceux qui critiquent la chasse, et une autre en faveur des chasses dites « traditionnelles » des oiseaux dont la glu, demandé inscription de celles-ci au patrimoine cynégétique national, voté pour la répression des obstructions à la chasse et des lanceurs d'alerte qui filment la réalité des élevages etc. Un sénateur tellement engagé contre la cause animale qu’il recueille la note peu envieuse de 0,3/20 sur le site « les politiques et les animaux » https://www.politique-animaux.fr/pierre-cuypers 

Pire encore, les sénateurs ont « mal compris » les spécialistes auditionnés pour l’occasion. Lorsque le représentant de la SNCF explique que « l’expérience (de création de terriers artificiels) est « difficilement reconductible », les sénateurs entendent que « La SNCF n’estime pas l’expérience reconductible. ».
Lorsque l’Office français de la Biodiversité écrit que « l’état des populations de blaireau est actuellement favorable en France », les sénateurs entendent qu’elles « seraient en expansion ».
Tandis que l’OFB estime que « Un report de la période complémentaire (pendant le sevrage des jeunes) pourrait permettre d’augmenter la proportion des jeunes sevrés et constituer un compromis. », le rapporteur comprend que « l’OFB et la FNC rejettent l’interdiction de toute chasse des juvéniles ».

L’OFB cite des sources scientifiques sur le stress dû à la vénerie, le rapporteur écrit « quoiqu’il en soit, l’OFB a indiqué au rapporteur qu’il existait peu d’études sur le stress et l’éventuelle souffrance de l’animal chassé ». L’ANSES est citée en référence pour justifier des risques de transmission de la tuberculose bovine.

 C’est oublier que l’ANSES écrit que " l’élimination préventive des blaireaux (et autres espèces sauvages) ne peut en aucun cas être justifiée au motif de la lutte contre la tuberculose". Et jusqu’à découvrir grâce aux sénateurs zélés que les chiens de vénerie sont tellement bien traités qu’ils vont à la messe Saint-Hubert…
 Et une conclusion qui, sans surprise, renvoie les 105.000 signataires (et 83% des Français selon l’IPSOS 2018) dans leurs terriers. Mobiliser plus de 100.000 personnes n’est pas chose aisée. Les associations comme la LPO en savent quelque chose. En l’état, cette heureuse initiative sénatoriale n’est pas seulement improductive, elle est contre-productive, nourrissant la défiance envers le Sénat et usant les ressorts de la mobilisation citoyenne.


Yves VERILHAC 
Ancien Directeur Général de la LPO
 E
xpert cynégétique pour la LPO 



Article illustré par notre collègue photographe naturaliste, Claudy Stenger dont vous avez déjà pu apprécier les photos sur notre blog. D’autres de ses photos sont visibles sur Flickr (cliquer)

Rédigé par ANAB

Publié dans #Protection animale

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Commenter cet article
T
Un brin de cynisme pour ce premier lundi non férié de l'année. Nous avons de la chance que l'enfumage politique ne produise pas d'odeur. <br /> Si le bullshit politique avait une odeur, l'air que nous respirons serait quasi pestilentiel.
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A
Merci Toll de trouver les mots pour en rire.<br /> mais, perso, je trouve que ces politiques sentent mauvais en traitant les sujets de cette manière.<br /> Ils sont irrespirables<br /> Roland
B
Triste devant tant de mauvaise foi ! Et en colère...
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A
Oui si tout est traité de cette manière!<br /> Roland
J
Comme toujours, ces élus ayant une audition discriminante selon le vent qui les arrangent nous jouent des airs de pipo afin de faire croire aux citoyens en des mesures biaisées par avance. Semblant de démocratie écoeurante dans ce triste contexte environnemental dont ils n’ont, de manière incompréhensible, rien à faire.
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A
Triste oui Jpl.<br /> L'enfumage permanent serait-il la nouvelle manière de faire de la politique?<br /> Roland