Pourriture grise, les plantes posséderaient une stupéfiante arme secrète

Publié le 19 Janvier 2024

une orange Citrus sinensisattaquée par  la moisissure grise (Botrytis cinerea)

une orange Citrus sinensisattaquée par la moisissure grise (Botrytis cinerea)

paru sur geo le 3/1/2024

Des chercheurs de l'université de Californie à Riverside ont décrit le mécanisme de défense des plantes face au redoutable Botrytis cinerea, le champignon responsable de la pourriture grise. D'après leur étude, la victime enverrait vers son agresseur des "bulles" de gras remplies d'ARN messager.

La pourriture grise n'est pas toujours considérée comme un fléau. Pour certains viticulteurs, c'est même un sacré atout : en dégradant la peau du raisin, le champignon Botrytis cinerea augmente l'évaporation de l'eau depuis l'intérieur du fruit, faisant grimper la concentration en sucre et déclenchant la macération qui donnera au vin liquoreux son arôme caractéristique (Muséum national d'Histoire naturelle).

Mais pour les producteurs de raisins, de fraises ou de tomates, cette maladie – qui touche plus de 1 400 espèces végétales, y compris des fruits et légumes ou des fleurs – est avant tout synonyme de perte de rendement. Autant dire que les recherches sur les relations entre le parasite fongique et son hôte intéressent de près l'industrie agroalimentaire.

 

Une nouvelle étude publiée par des chercheurs de l'université de Californie à Riverside dans la revue Cell Host & Microbe (15 décembre 2023) livre des clés sur la façon dont la plante se défend face au champignon. D'après ces travaux, la victime enverrait vers son agresseur des vésicules lipidiques (bulles graisseuses) remplies… d'ARN.

Quand les plantes contre-attaquent

Dans les cellules eucaryotes (plantes, animaux et champignons), l'ADN – qui stocke l'information génétique – reste à l'abri au sein de deux types de structures : le noyau cellulaire, et les mitochondries, sortes de centrales énergétiques. Tandis que les ARN messagers (ARNm), eux, circulent : ils peuvent en effet servir de "notice d'assemblage" dans les "usines de fabrication" des protéines (ribosomes).

Auparavant, l'équipe californienne avait découvert que les plantes utilisaient des vésicules pour envoyer de petites molécules d'ARN capables de réduire au silence les gènes qui rendent la pourriture grise virulente. Les auteurs sont désormais en mesure d'affirmer que ces bulles peuvent également contenir des molécules d'ARNm qui s'attaquent à d'importants processus cellulaires du champignon.

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"Ces ARNm peuvent coder pour des protéines qui se retrouvent dans les mitochondries des cellules de la moisissure", explique dans un communiqué le Pr Hailing Jin, du département de microbiologie et de pathologie végétale de l'UC Riverside, l'auteur principal de l'article. "Une fois à l'intérieur, elles perturbent la structure et la fonction des mitochondries fongiques, ce qui inhibe la croissance et la virulence du champignon."

Une "course à l'armement"

Toutefois, la raison pour laquelle le champignon accepte de recevoir les bulles de lipides n'est pas tout à fait élucidée. "Le champignon absorbe probablement les vésicules parce qu'il veut simplement des nutriments. Il ne sait pas que ces ARN y sont cachés", suggère le chercheur.

Pour la plante, en revanche, l'avantage est clair. "L'intérêt de livrer de l'ARNm, plutôt que d'autres formes d'armes moléculaires, est qu'un ARN peut être traduit en de nombreuses copies de protéines. Cela amplifie les effets", détaille le Pr Jin. La vésicule de gras, elle, protège ces molécules fragiles.

Fait intéressant, les champignons utiliseraient eux aussi ces bulles lipidiques pour introduire de petits ARN nuisibles dans les plantes qu'ils infectent afin de supprimer l'immunité de l'hôte. Une véritable "course à l'armement" qui se déroulerait dans le cadre de la co-évolution hôte-parasite.

Vers des fongicides non-toxiques ?

"Dans les cas d'infection, il y a toujours beaucoup de communications et d'échanges de molécules entre les plantes et les champignons qui se battent l'un contre l'autre", résume le scientifique. "Auparavant, on s'intéressait aux protéines échangées. Aujourd'hui, la technologie moderne nous a permis de découvrir un autre groupe important d'acteurs dans cette bataille."

À l'avenir, les auteurs espèrent utiliser cette découverte pour créer des "fongicides innovants et respectueux de l'environnement". "La lutte contre les parasites et les agents pathogènes est un combat sans fin. Si nous pouvons délivrer de l'ARNm qui interfère avec les fonctions cellulaires des moisissures, nous pourrons peut-être aider les plantes à lutter plus efficacement", anticipe le Pr Jin.

Rédigé par ANAB

Publié dans #Apprendre de la nature

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B
Vite, ça urge !
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A
😁