Placunopsis: un fossile du Muschelkalk d'Alsace-Bossue et de Lorraine
Publié le 10 Mars 2024
Que l’on soit amateur de fossiles ou non, un passage par certaines localités de l’Alsace Bossue ou de la proche Lorraine situées sur la bande de terrains du Muschelkalk supérieur attire l’attention sur des blocs de pierres volumineux aux formes arrondies. Ils sont soit disposés librement sur un devant de porte (jardinet) soit intégrés à une réalisation monumentale. Un examen attentif montre qu’ils sont constitués d’assemblages de minuscules écailles calcaires. Leurs « collectionneurs » connaissent-ils toujours la vraie nature de ces rochers ?
Formes d’assemblages rencontrées :
les rochers massifs : des récifs de la mer du Muschelkalk
« Récif fossile » ou bioherme dans un pré. La formation en monticule ou demi-sphère atteint un demi-mètre de diamètre. Elle est formée de colonnettes, séparées par des sillons comblés parfois de matériel argileux. Les colonnettes résultent de l’accumulation des valves droites de coquilles d’une sorte d’huître minuscule : Placunopsis ostracina. Ces formations sont relativement fréquentes dans le Muschelkalk supérieur en particulier dans le niveau sommital du Calcaire à térébratules.
Les encroûtements de fossiles
Fragment de moule interne de Cératite (on aperçoit les lignes de suture persillées qui marquent l’emplacement des cloisons internes de la coquille). Il porte une colonie de Placunopsis ostracina. On remarquera les tailles différentes des valves qui correspondent à des vagues successives de colonisation ( cas des petites valves isolées sur la bordure, en haut à gauche). La dissolution du phragmocône en aragonite (coquille de Cératite) a fait adhérer les valves au matériel de remplissage. Sur certains spécimens, on distingue aisément le pôle apical étroit ou crochet qui comporte la charnière permettant l’ouverture de la coquille. Le bord des valves est plus épais et leur donne une forme en cuillère plate.
Nom : Placunopsis ostracina (signifie coquillage à l’aspect de plaque). Etat de fossile
Groupe biologique : Mollusques bivalves, attribué aux Anomiidae
Epoque : Trias (Muschelkalk) – 240 MA environ. Etage : Ladinien
Répartition : Trias germanique de l’est du Bassin parisien et en Allemagne
Localisation des individus de la page : Alsace Bossue (67) et proche Moselle (57)
Biologie de l’espèce.
A l’origine du cycle de développement des Mollusques, l’oeuf donne naissance à une minuscule larve planctonique, la larve véligère. Elle présente un velum (voile) cilié lobé qui facilite la nage et l'alimentation. Elle s’entoure d’une première coquille fine et transparente. La larve va subir une transformation qui met fin à la vie planctonique. Au cours de cette métamorphose, elle se fixe sur un substrat dur et acquiert sa coquille définitive. Le régime alimentaire est celui des organismes filtreurs.
Paléoécologie
Placunopsis ostracina se développe préférentiellement sous la zone de balancement des marées (zone subtidale), mais au-dessus de la base de la zone d’action des vagues de tempête. Les récifs débutent en général sur un substrat dur (hard ground) ou sur des coquilles de céphalopodes (nautile et cératite) de la mer du Muschelkalk. Des études fines ont montré dans ce dernier cas que la colonisation pouvait débuter du vivant de l’animal-support qui transportait ainsi une « épibiose ». A la mort du porteur, la coquille vide devenait le point de départ d’une colonisation en masse donnant éventuellement naissance à un récif (bioherme). Car selon le lieu d’échouage, le récif pouvait devenir roulant au gré des tempêtes ou se faire ensevelir rapidement par des accumulations de boues.
Dans les conditions propices à la croissance du récif, les valves gauches creuses des animaux morts se détachent et se retrouvent en partie piégées dans les sillons entre les colonnettes. Les nouveaux arrivants s’installent sur les valves droites restées en place et le récif croît en hauteur. On admet qu’il dépassait le fond marin de quelques 30-40 cm. La taille atteint généralement autour d’un mètre de hauteur pour un diamètre plus large . Des formations pluri-métriques ont été trouvées. L’âge atteint par ces formations est estimé à plusieurs millénaires Sur une épaisseur de 1 cm on trouve jusqu’à 20 valves soudées. Si on estime la durée de vie d’un spécimen à 4-5 ans (Georg Wagner), la croissance apparaît comme lente.
Mini-récif de Placunopsis (vraisemblablement ) développé sur un amas de coquilles de Hoernesia socialis. Un tel amoncellement de coquilles (lumachelle) constituait un fond propice à la fixation de larves. Dans le coin supérieur droit, des placages limités à la surface d’une seule valve sont en faveur de cette hypothèse. Ce récif montre des individus de taille réduite par « manque de place ». Son existence a été interrompue par un recouvrement de marnes argileuses (échantillon sommairement dégagé) au cours d’un événement de type tempête.
Intérêt sur le plan de l’évolution
A la fin du Permien, dernier étage de l’ère primaire (- 250MA), une extinction de masse a eu lieu. C’est la crise biologique Permien-Trias qui a fait disparaître un grand nombre d’espèces vivantes. Au Trias, les récifs coralliens connus à l’ère primaire font défaut. Quelques formations microbiennes (cyanophycées) sont responsables de stromatolites (structures en feuillets) dès le début du Trias , mais les premières constructions significatives d’organismes pluricellulaires sont dues aux mollusques, en particulier à ceux du genre Placunopsis et ne s’installent qu’à partir du Trias moyen.
Utilisation
Les récifs de Placunopsis sont découverts lors de travaux (agriculture, chantiers, carrières). Utilisés comme matériau la plupart du temps, leurs formes singulières les ont fait adopter comme objets décoratifs.
Les deux clichés suivants ont été pris sur les flancs d’un monument réplique de grotte de Lourdes dans un village lorrain. Des récifs sont incorporés à la maçonnerie. On peut y voir des parties en coupoles et des sections laissant entrevoir les accumulations de valves.
Voilà une création originale, où le récif coiffe un pied donnant à l’ensemble un aspect de « lithomycète ». Laissons au mycologue de l’Anab, le soin de la détermination...
Enfin, option moins glorieuse, un rocher qui a usé, au passage, le soc des charrues, termine sa course sur un pierrier. Là, en position renversée, il offre un perchoir aux oiseaux avant d’entamer son érosion sous un couvert de ronces, à moins de terminer à l’état concassé comme matériau d’empierrement...
Texte, photos et bibliographie Étienne Feuchter (Anab)
Sources et Compléments :
- Une page consacrée à Placunopsis se trouve également sur le site
https://sites.ac-nancy-metz.fr/base-geol/fiche.php?dossier=123&p=3descrip
- Le paléontologue H. Hagdorn - spécialiste du Muschelkalk - a consacré un article (en allemand), page 57 du document : Muschelkalk Riffe
- Une étude statistique sur le mode de répartition des récifs :
Placunopsis-Riffe im Oberen Muschelkalk der Süd-Eifel. January 2000; Zentralblatt für Geologie und Paläontologie Teil I 1999:293-314. Authors: Hans Hagdorn, Theo Simon. https://www.researchgate.net/publication/372412959_Placunopsis-Riffe_im_Oberen_Muschelkalk_der_Sud-EifelRiffe_
- Une étude détaillée de la colonisation d’une coquille de Cératite « Perniciöse Epökie von Placunopsis auf Ceratites ». Dieter Meischner (1968)
https://www.idunn.no/doi/10.1111/j.1502-3931.1968.tb01734.x