Questions à un champignon 2/2

Publié le 22 Octobre 2017

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )



Monsieur le Champignon, vous vous associez avec les arbres ?

Oui, certains d'entre nous s'associent avec les arbres au niveau des racines. En fait, c'est une coopération dans les deux sens : l'arbre nous nourrit grâce à la photosynthèse tandis que nous on explore le sol pour lui trouver de l'eau, des minéraux et d'autres substances importantes pour qu'il puisse pousser. Nos filaments sont plus efficaces pour explorer le sol que les racines. On est même aussi là pour le protéger de l'attaque d'autres prédateurs. Beaucoup des miens vivent en association avec les racines des arbres, c'est beaucoup de ceux que vous ne voyez qu'à l'automne et que vous appelez bolets, russules, lactaires etc.

D'autres champignons ont décidé de vivre avec une algue microscopique ou une bactérie, c'est ce que vous appelez un lichen.

En fait,nous savons nous associer car ensemble nous sommes plus forts. Près de 95 % des plantes vivent avec nous. Certains vivent dans la racine, autour de la racine et d'autres même dans toute la plante. Nous avons une très longue histoire commune avec les plantes qui remonte il y a très longtemps, quand les plantes ont commencé à coloniser la surface de la terre. C'était grâce à nous.

Retenez donc que sans nous, vous n'auriez pas de si beaux arbres, de si belles forêts.

Question pour un champignon

Vous semblez si différents les uns des autres. Comment on peut vous identifier ?

Encore une bonne question qui taraude les cueilleurs. Mal nous identifier et au lieu du régal, c'est souvent l'hôpital. Pourtant avec un peu de méthode et de la rigueur on arrive à être moins mystérieux.

D'abord arrêtez de nous comparer avec des photos dans les livres. On peut être tellement différents, même entre nous de la même espèce, selon notre âge, l'endroit où on pousse, etc.

Souvenez vous que ce que vous voyez est notre organe pour disséminer nos spores. Chez certains, ces spores se forment dans des structures (qu'on appelle l'hyménophore) qui peuvent être des lames, des tubes, des aiguillons, des plis, ou même des surfaces complètement plates. Mes amis les bolets, les cèpes, ont des tubes, les girolles des plis, le pied de mouton des picots etc. C'est déjà le premier point à observer.
 

 

Différentes structures pour élaborer les spores : lames, plis, picots, tubes, lisses, pores
Différentes structures pour élaborer les spores : lames, plis, picots, tubes, lisses, pores
Différentes structures pour élaborer les spores : lames, plis, picots, tubes, lisses, pores
Différentes structures pour élaborer les spores : lames, plis, picots, tubes, lisses, pores
Différentes structures pour élaborer les spores : lames, plis, picots, tubes, lisses, pores
Différentes structures pour élaborer les spores : lames, plis, picots, tubes, lisses, pores

Dans notre grande famille nous avons différentes structures pour élaborer les spores : lames, plis, picots, tubes, lisses, pores

C'est vrai que les champignons à lames se ressemblent tous mais prêtez attention à quelques détails fondamentaux. Si vous regardez les lames chez leurs cousins, les lépiotes, agarics, amanites et plutées, les lames ne touchent pas le pied, tandis que chez d'autres elles touchent le pied comme chez les russules, cortinaires, etc. Quand elles touchent le pied, les lames arrivent-elles à angle droit (lames adnées), font-elles avant une courbe (lames échancrées) ou descendent-elles le long du pied (lames décurrentes) ? C'est vrai que c'est pas toujours facile à évaluer. Dans ce cas, coupez moi en longueur et regardez comment les lames arrivent sur mon pied.

Donc pour m'identifier, il faut me retourner. Ça ne me fait pas mal, je vous l'ai expliqué mais si vous oubliez de le faire, ça risque de vous faire mal à vous.

Lames libres comme chez les agarics, lépiotes, plutées et amanites
Lames libres comme chez les agarics, lépiotes, plutées et amanites

Lames libres comme chez les agarics, lépiotes, plutées et amanites

Lames qui touchent le pied mais pas à angle droit : lames échancrées comme chez ce cortinaire ou ce tricholomeLames qui touchent le pied mais pas à angle droit : lames échancrées comme chez ce cortinaire ou ce tricholome

Lames qui touchent le pied mais pas à angle droit : lames échancrées comme chez ce cortinaire ou ce tricholome

Lames qui touchent le pied à angle droit (adnées)

Lames qui touchent le pied à angle droit (adnées)

Lames qui descendent le long du pied : décurrentes

Lames qui descendent le long du pied : décurrentes

Regardez ensuite mes habits. En fait je ne devrais pas dire habits mais plutôt ce qu'il en reste. En effet, jeunes, certains d'entre nous sont enveloppés dans une membrane (le voile général), tout comme nos lames (le voile partiel). Certains d'entre nous ont différentes façons de grandir et donc déchirent de différentes façons ces habits. Les reliques de ces habits sont des éléments importants pour nous déterminer.

Est ce que j'ai des mèches sur le chapeau, des flocons, des écailles ? Pareil pour mon pied, est ce que j'ai un anneau, des restes de voiles, des mèches ? Est ce que mon pied est dur ou mou ? Est ce qu'il se casse facilement ? Pensez surtout aussi à regarder la partie de mon pied qui est dans la terre. Est-ce qu'il a sac (une volve), un bulbe ? C'est pour vous dire aussi qu'il faut absolument arracher et pas couper mon pied si on cherche à me connaître. Comment vous voulez voir une volve si vous coupez le pied ? Certains de mes amis qui ont une volve peuvent vous envoyer au cimetière. Il faut aussi me sentir, regarder où je pousse. En bref, si vous voulez m'identifier correctement, triturez moi.

Volve à la base du pied comme chez les amanites
Volve à la base du pied comme chez les amanites

Volve à la base du pied comme chez les amanites

Bulbe à la base du pied

Bulbe à la base du pied

Flocons sur le chapeau

Flocons sur le chapeau

Ecailles sur le pied et le chapeau

Ecailles sur le pied et le chapeau

Cortine sur le pied, comme chez ce cortinaire

Cortine sur le pied, comme chez ce cortinaire

Différents types d'anneaux
Différents types d'anneaux
Différents types d'anneaux

Différents types d'anneaux

La couleur de nos spores est un indice tout aussi précieux que l'insertion de nos lames pour nous identifier. Pour voir cette couleur (la sporée), ce n'est pas difficile. Enlevez mon pied et posez le chapeau sur une feuille blanche, lames tournées vers le papier, puis recouvrez d'un verre. Au bout de quelques heures, vous verrez ma couleur sur le papier.

Quand on a un œil exercé, on peut voir cette couleur sans faire de sporée mais ce n'est pas systématique. La couleur des lames n'est pas forcément la même que la couleur des spores.

Pour simplifier :

- si les lames ne touchent pas le pied :

  - sporée blanche, avec volve et/ou flocons sur le chapeau : amanite. Sans volve, lépiote

  - sporée noire : agaric et psathyrelle

  - sporée rose : plutée

- si les lames touchent le pied :

  - sporée blanche : tricholome

  - sporée brune : cortinaire

  - sporée rose : entolome

Vous voyez, quand on a un champignon devant les yeux, il faut se poser des questions dans un ordre précis et pas comparer avec des photos. C'est une affaire de méthodologie avant tout.

Mais la première fois, il est plus prudent que ce soit quelqu'un d'expérimenté qui me présente ou alors vous me montrez à un pharmacien qui me connaît. N'hésitez pas aussi à faire des sorties accompagnés et/ou de pousser la porte d'une association mycologique. Là bas vous rencontrerez des personnages étranges appelés les mycologues. Ils nous étudient et partagent avec plaisir leurs connaissances de passionnés.

Différentes couleurs de sporées

Différentes couleurs de sporées

Monsieur le Champignon, quels conseils pouvez vous donner à nos lecteurs qui souhaitent vous cueillir?

La patience, la prudence et la curiosité. Ne cherchez pas à brûler les étapes. Vous avez vu qu'on peut être très variables. Donc essayer de nous identifier avec de simples photos est vain et dangereux. Surtout que ce que vous pensez être un caractère déterminant (la couleur par exemple) souvent n'a aucun intérêt pour nous identifier.

Ne restez pas seul mais allez en forêt avec un connaisseur ou allez frapper à la porte d'une association mycologique mais surtout, je le répète, ne restez pas seul. Faites vous expliquer la méthodologie et les bonnes questions à se poser. Identifier, c'est se poser des questions dans un certain ordre, acquérir une méthodologie et ça demande du temps, de nombreuses années avant d'acquérir une certaine assurance.

Faites aussi attention où vous nous ramassez. On est des éponges à métaux lourds et autres polluants. Bien que nous soyons souvent  délicieux, vous pouvez vous intoxiquer.

Pensez aussi à nous déposer dans un panier, c'est plus confortable pour nous pour le transport. Dans un sachet nous étouffons et au pire, en fermentant, nous allons vous rendre malade .

Laissez tranquilles nos membres trop jeunes. Ils n'ont pas encore fini de se développer et à ce stade peuvent ressembler à d'autres spécimens plus dangereux. Laissez également tranquilles nos vieillards. Ils ne sont plus appétissants et peuvent vous intoxiquer.

Gardez à l'esprit que seulement une dizaine d'entre nous sont bons à manger. D'autres effectivement ne vous empoisonneront pas mais ne sont pas bons à manger non plus. Est ce que ça vaut la peine de risquer sa vie pour quelque chose qui n'est pas goûteux à manger ? Risquer sa vie à cause d'un champignon douteux n'en vaut pas la peine. Donc dans votre panier je ne veux voir que des congénères que vous savez identifier sans aucun doute et en bon état.

Commencez par ramasser ce que vous connaissez parfaitement puis petit à petit, notre monde vous deviendra moins mystérieux. Mais restez avant tout humble car les connaissances évoluent beaucoup à notre sujet. Fuyez celui qui vous dit qu'il me cueille depuis 30 ans et qu'il me connaît par cœur. Quand on m'aime, on se tient au courant des dernières informations sur mon compte.

Question pour un champignon
Question pour un champignon
Question pour un champignon
Question pour un champignon

Monsieur le Champignon, que voulez vous encore nous dire pour conclure ?

Il y aurait encore beaucoup à dire sur moi et mes congénères. On est près de 35 000 espèces en France et plusieurs millions dans le monde.

S'il y a des gens qui s'empoisonnent en nous mangeant, ce n'est pas de notre faute. Nous n'avons  pas ces toxines en nous pour vos beaux yeux mais certaines sont là pour nous défendre des attaques des insectes. Si vous êtes prudents, si vous ne mettez pas n'importe quoi en bouche, on ne fait aucun mal.

Il faut vous imaginer que sans nous, vous n'auriez pas certains fromages, du pain, de la bière et bien d'autres aliments. En effet, là vous interviewez un champignon de la forêt mais il y a tellement d'autres champignons qu'on ne voit pas. Ces champignons certes ne fabriquent pas des structures aussi élaborées que nous pour disperser leurs spores mais néanmoins ils en fabriquent aussi et les dispersent.

Nous sommes  vraiment une minorité parmi tous les champignons existant. En forêt, dans les prés, dans l'eau et même dans vos intestins, on est partout, discrets mais tellement importants.

Sans nous aussi, les arbres s'étoufferaient sous les feuilles mortes et branches. Nous sommes  là pour décomposer.

Si vous ne nous ramassez pas, ne nous cassez pas. ? Nous servons  également de nourriture à de nombreux animaux et de maison à de nombreux insectes.

Question pour un champignon
Question pour un champignon

Je voulais aussi vous dire que certains parmi nous sont menacés de disparition. Avant de nous respecter, respectez d'abord notre environnement. Si nous disparaissons, c'est votre propre existence qui est menacée. Nous ne sommes pas à votre service. Nous avons vécu avant vous et nous vivrons encore longtemps après vous.

Bref, vous l'avez compris, on est des acteurs fondamentaux de l'environnement et sans nous il n'y aurait pas de forêt, pas de beaux arbres, pas de belles promenades automnales. Et même si votre panier est vide, votre tête et votre cœur seront quand même remplis de belles images et de belles rencontres.

Question pour un champignon

Pour aller plus loin, Monsieur le Champignon vous recommande ces ouvrages indispensables pour encore mieux le connaître.

Question pour un champignon
Question pour un champignon
Question pour un champignon
Question pour un champignon
Question pour un champignon

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons, #découverte nature

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R
Merci Sert rosinette et Hans de vos compliments pour ce bel article et les belles photos, de Gilles. J'attends avec impatience, sans doute comme vous, son prochain article.
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H
Vous m'avez motivé de regarder les champignons dans une nouvelle lumière, merci Gilles.<br /> Longtemps j'étais déçu parce que l'Armillaria mellea nous a détruit presque l'ensemble de nos cèdres.
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S
magnifique article avec des photos magistrales !!!
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