Ganoderma lucidum, de la mycothérapie à la pseudo science

Publié le 11 Novembre 2017

Avec son chapeau lisse et brillant, son pied long et tortueux, croiser ce champignon ne laisse pas indifférent tant son aspect est surprenant. On le trouve sur débris ligneux, racines enterrées ou non, au pied des souches de feuillus mais aussi des arbres vivants dans les bois de feuillus et parfois dans les vergers.

Ganoderma lucidum, de la mycothérapie à la pseudo science

C'est sans doute de cet aspect peu banal dans le règne fongique que ce champignon tire l'intérêt qu'on lui porte. Depuis pas mal d'années il est cultivé (on verra plus tard que ce n’est pas lui) dans certains pays asiatiques sous le nom de Reishi au Japon et Ling Zhi en Chine, et de sa chair on en tire une poudre qui selon quelques éminents « docteurs » aurait des vertus propres à guérir nombre de maladies et même l’impuissance. Un peu partout sur le net fleurissent des sites vantant ses innombrables « bienfaits », évidemment sans aucunes preuves ni études scientifiques à l’appui.

On va démêler le vrai du faux concernant ce champignon et parler également de la mycothérapie, qui comme son nom l’indique, désigne les soins par des champignons.

Ganoderma lucidum, de la mycothérapie à la pseudo science

e premier fait est qu’il y a énormément de champignons qui ressemblent au ganoderme luisant. En Europe on a sur souche de conifères Ganoderma carnosum, on peut également citer, dans d'autres pays, G. resinaceum, martinicense, sichuanense, etc. Déjà il faut savoir quel champignon est désigné sous l’appellation de Reishi ou Ling Zhi. Pourquoi est-ce si important de savoir de quelle espèce on parle ?

Chaque champignon contient différentes substances dont certaines peuvent avoir une action thérapeutique. Comme l’ont montré Welti et Al. en 2015 en dosant et caractérisant par chromatographie les triterpènes (une famille de molécules issues du métabolisme du champignon et d’intérêt thérapeutique) dans différentes espèces de Ganoderma, les profils ne sont absolument pas les mêmes. Par exemple, Ganoderma lucidum ne contient aucun acide ganodermique, ce qui n’est pas le cas du ganoderme asiatique Ganoderma sichuanense. L’ensemble des molécules issues du métabolisme porte le nom de métabolome et il est différent d’une espèce à l’autre.

Quand on veut utiliser un champignon pour effectuer un traitement, il est important de pouvoir garantir l’homogénéité des molécules thérapeutiques contenues en lui, rien que pour garantir la posologie, faire des essais cliniques protocolisés et permettre ainsi la reproductibilité du traitement. Une approche taxonomique fine permet de restituer à chaque espèce son métabolome et ainsi d’affiner son usage thérapeutique.

De plus, Ganoderma lucidum est une espèce strictement européenne, remplacée en Asie par d’autres espèces morphologiquement ressemblantes. Donc assimiler le Reishi ou le Ling Zhi au ganoderme luisant est faux. Cela n'enlève rien au fait que le ganoderme européen possède également des molécules bio actives. Le message à retenir est l'importance des investigations taxinomiques fiables, afin d'identifier clairement les espèces contenant ces molécules spécifiques.

 

Ganoderma lucidum, de la mycothérapie à la pseudo science

Concernant la mycothérapie elle même, l’usage des champignons est une longue histoire. Vers environ –4500 av. JC, un chasseur cueilleur du néolithique trouva la mort non loin des dolomites. Enseveli sous la glace, son souvenir est parvenu jusqu’à nous sous le nom d'Ötzi. Les scientifiques ont découvert dans sa besace des restes de polypore du bouleau (Fomitopsis betulina) utilisés comme anti parasitaire.

Fomitopsis betulina

Fomitopsis betulina

L’amadou (Fomes fomentarius) est mentionné au Vième siècle av. JC pour ses propriétés hémostatiques.

 

 

 
Fomes fomentarius

Fomes fomentarius

Aujourd’hui en occident, le champignon est davantage connoté avec la notion de poison mais ce serait oublier certains antibiotiques comme la pénicilline, synthétisée par un champignon du genre Penicillium et les ciclosporines, médicament anti-rejet synthétisé par le champignon Tolypocladium inflatum. Ces champignons sont évidemment microscopiques et le commun des mortels n’aura pas tendance intuitivement à les classer dans le même règne que le cèpe de Bordeaux, les girolles etc. Néanmoins des recherches sont en cours avec certaines molécules comme par exemple l’illudine (extraites de Omphalotus illudens, le clitocybe trompeur) pour le traitement des tumeurs.

Ganoderma lucidum, de la mycothérapie à la pseudo science

En Orient, et notamment la médecine traditionnelle chinoise, on s’intéresse aux champignons depuis le Ier siècle après J.-C. Et les champignons sont davantage représentés dans leur pharmacopée. Les succès de cette médecine traditionnelle ont entraîné un regain d’intérêt pour la mycothérapie en occident mais attention aux dérives, aux allégations fantaisistes et aux légendes urbaines comme on l’a vu précédemment avec le ganoderme luisant. Pour autant, des études ont montré que certaines molécules d’intérêts thérapeutiques offrent une réponse chimiothérapeutique 1,27 fois supérieure mais en revanche pas d’effet significatif de rétrécissement de la tumeur quand elles sont utilisées seul. La conclusion de cette synthèse (The Cochrane collaboration pour les lecteurs qui souhaitent approfondir ce point) est donc qu’on ne peut pas utiliser le champignon en première ligne contre le cancer et qu’il peut éventuellement être administré comme traitement adjuvant d’appoint avec le traitement classique (jamais seul) pour ses effets immunostimulants. Je précise donc bien qu'à l'heure actuelle manger des champignons ne guérit pas du cancer, ni autre chose. Quand à l'usage de la mycothérapie, cette éventualité doit toujours être prise préalablement avec le corps médical.

D'autres recherches ont mis en évidence des propriétés contre la dépression ou d'autres pathologies. A ce stade il faut raison garder : d'une part entre le laboratoire et les essais cliniques le chemin est souvent long et d'autre part certaines études ont été faites sur des injections de mycélium, ce qui n'est pas la même chose qu'ingérer un sporophore. Raison garder ne signifie pas exclure ce champ de recherche passionnant, mais simplement garder son esprit critique et ne pas gober n'importe quoi sans preuves solides.

En conclusion, le règne fongique pour l’instant offre peu de médicaments mais ne passerions nous pas à côté de nombreux modèles chimiques innovants ? Les recherches doivent se poursuivre et pour ça les recherches phylogénétiques sont essentielles pour bien identifier l’espèce sur laquelle on travaille et ainsi permettre des essais cliniques protocolisés. Médecins traditionnels chinois, médecins occidentaux, mycologues, phylogénéticiens, c’est le travail collectif pluridisciplinaire qui fait toujours avancer nos connaissances.

Bibliographie :

http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2002_num_90_336_5432

http://sante.lefigaro.fr/article/otzi-l-homme-des-glaces-entre-merveille-et-mystere

http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1878614616000180

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00441072/

https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/441072/filename/welti_stephane.pdf

 

Remerciement :

Au Dr Stéphane Welti, professeur à la faculté de pharmacie de Lille, laboratoire des sciences végétales et fongiques, spécialiste des Ganoderma et leur usage thérapeutique, que j'ai eu l'honneur d'avoir comme enseignant lors des cours de mycologie appliqué aux médicaments.

Je m'excuse par avance auprès de lui pour les simplifications effectuées, la vulgarisation étant un exercice très difficile.

Texte, photos  Gilles Weiskircher Anab



 

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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R
Merci de tes commentaires Jpl. Merci à Gilles de balayer un certain nombre d'idées reçues sur ce sujet.
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J
Bravo et merci , c'est très intéressant et précise la méfiance à avoir vis à vis de nombreuses croyances thérapeutiques pouvant perdurer longtemps comme celle de la corne de rhinocéros qui à la même composition que nos ongles.....tout en laissant bien comprendre l'intérêt des recherches et études à mener sur cette nature qui nous entoure.
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