Hercule Poirot mène l'enquête mycologique sur le gang des Tuburia (épisode4)
Publié le 24 Octobre 2020
Enquête fongique, au cœur de la brigade d’investigation des champignons épisode4
Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel.
Repartons à nouveau en immersion avec Hercule Poirot affecté pour un temps à la BIC, Brigade d’Investigation des Champignons. Après nous avoir indiqué la méthodologie d’investigation, il va emmener nos journalistes directement sur une nouvelle scène de « crime ». L’automne est la saison où en principe la criminalité fongique augmente et les enquêteurs sont sur le pied de guerre.
L’enquête a débuté avec une personne qui a signalé à la brigade l’apparition soudaine d’un gang de petits champignons bruns en forêt de feuillus
Arrivé sur la scène du « crime », notre enquêteur sécurise tout de suite le lieu afin de mettre en place la méthode de l’entonnoir ou méthode SAPE (scène-arme-portrait-empreinte), resserrer l’étau sur les suspects pour les faire avouer.
La scène du crime
Ici la scène du crime est au sol, sur des débris de feuilles et de branches, dans une forêt de feuillus à dominante chêne et hêtre. Nous sommes le 12 octobre 2020 à Zetting. Le témoin, peu rassuré par tous les membres de ce gang, craint pour la quiétude de sa promenade sylvestre. Quel est ce nouveau gang qui a fait main basse sur le territoire forestier ?
L’enquêteur sait par avance que les gangs des petits champignons bruns ne sont pas faciles à appréhender.
L’arme du crime, où comment le champignon se nourrit
Un champignon qui pousse directement sur du bois et des débris est nécessairement un champignon saprophyte. Ça permet déjà d’éliminer des suspects comme les cortinaires, les inocybes et d’autres, qui eux sont mycorhiziens.
Le portrait robot
Il voit ici des petits champignons brun à orange, de morphologie classique pied/chapeau de petite taille, quelques centimètres, sans odeur particulière, de saveur douce.
L’examen des lames montre qu’elles sont non-libres, donc elles touchent le pied. Elles sont espacées, avec la présence de lamelles (des lames qui partent du chapeau et ne touchent pas le pied). L’enquêteur constate même qu’elles sont légèrement décurrentes, c’est-à-dire qu’elles descendent sur le pied. Un point lui tape tout de suite à l’œil c’est la forme arquée de ces lames, concave. Peu de champignons possède ce type de lames, uniquement les genres Deconica et Tubaria
L’examen des voiles ne montre pas la présence de voile au niveau du pied mais des restes de voile partiel sous forme de plaques sur la marge du chapeau. C’est un indice supplémentaire qui l’oriente vers Tubaria
Les empreintes
L’empreinte des spores, plus précisément leur couleur, est une clé essentielle pour identifier le suspect. L’empreinte ici est ocre. Ça conforte l’intuition de l’enquêteur qu’il est dans le genre Tubaria. C’est le seul genre de champignon à lames décurrentes qui a une couleur de sporée ocre.
Faire appel à la police scientifique
Les membres du gang des tubaires sont très difficiles à identifier entre eux et l’aide de la police scientifique est nécessaire. Leur examen nous montre des spores de 8 à 10 micron et surtout des cystides en forme de bouteilles (lagéniformes) et cylindriques. Chez d’autres tubaires, les cystides n’ont pas cette morphologie. Les cystides sont des cellules stériles présentes dans les lames des champignons.
spores de 8 à 10 micron et surtout des cystides en forme de bouteilles (lagéniformes) et cylindriquesmicroscopie x 1000- Tubaria furfuracea
Fin de l’enquête : rédiger son procès-verbal, sortir les codes en vigueur et mettre le suspect en garde à vue
Quand il dispose de tous ces éléments, l’enquêteur se plonge dans un guide d’identification, et surtout à jour. Le guide actuel le plus à jour est celui de Guillaume Eyssartier et Pierre Roux, édition 4 (GEPR dans le jargon des enquêteurs). Le bon enquêteur aura tout d’abord consigné dans un procès-verbal tous les éléments recueillis sur le terrain, avec photos à l’appui, sans oublier les éléments transmis par la police scientifique. Comme Hercule Poirot, l’enquêteur de la BIC a toujours son carnet avec lui pour noter tout élément d’enquête. Même le détail qui semble le plus insignifiant a son importance.
Il a ici tous les éléments pour identifier le suspect et appréhender le gang.
Conclusion de l’enquête
Avec ces éléments, il fait la conclusion;
c’est bien un membre du gang des tubaires, et plus précisément la Tubaire furfuracée.
Nom scientifique du champignon: Tubaria furfuracea (Persoon) Gillet (1876)
Nom commun : la Tubaire furfuracée.
Comestibilité : non comestible
Un dernier mot de l’enquêteur
L’enquêteur nous a montré ici qu’il est indispensable d’avoir une bonne méthodologie et de se poser les bonnes questions, dans un bon ordre, pour réaliser une juste appréhension du suspect. De façon générale, l’enquêteur rappelle que les petits champignons bruns sont toujours très difficiles à identifier et qu’il faut une solide expérience. Dans tous les cas, la méthode SAPE permet de progresser avec justesse.
Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)
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