Enquête mycologique, épisode spécial, Une nouvelle espèce qui révolutionne l’histoire de l’Alsace Bossue

Publié le 1 Avril 2023

Identifier un champignon n’est pas chose aisée au premier abord et c’est pourtant une démarche essentielle pour éviter toute fâcheuse méprise qui peut devenir fatale si on consomme un champignon toxique ou mortel. L’enquêteur de la brigade d’identification des champignons apprécie tout particulièrement d’arpenter les forêts pour recenser tous les gangs fongiques qui s’y trouvent. Et c’est une incroyable découverte qui attend notre enquêteur.

Scène du crime

Nous sommes le 10 mars 2023, à Sarre-Union, dans un monticule de foin bordant un pâturage. L’œil de l’enquêteur est tout de suite attiré par une étrange structure de couleur lie de vin.

Vue d'ensemble de Gissingeria attilensis (2023)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Arme du crime

Le champignon pousse au sol, avec des débris agglomérés à la base du pied. Il s’agit vraisemblablement d’un champignon saprophyte.

Profil du suspect

La morphologie du champignon n’est pas classique du tout. Il se présente sous forme de fructifications filiformes grégaires évoquant un membre du groupe des clavaires, par exemple le genre Macrotyphula. Le champignon présente une magnifique couleur rougeâtre. La chair est coriace, l’odeur insignifiante et la saveur plutôt amère

Gros plan sur Gissingeria attilensis (2023)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Jamais l’enquêteur n’avait observé un spécimen de ce genre, que ce soit en réel ou dans un livre. L’excitation était maximale sur ce très singulier spécimen et il était nécessaire de mener des investigations supplémentaires.

Sporée :

Elle est blanche

Examen par la police scientifique.

Les spores sont globuleuses, bosselées, d’un diamètre de 6 microns

Spores. Microscopie x1000- Gissingeria attilensis (2023)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Les basides sont rares, avec deux stérigmates

Basides. Microscopie x1000- Gissingeria attilensis (2023)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)

À ce stade, absolument aucun candidat n’émerge pour cette découverte. La prochaine étape, pour aller plus loin, va être d’échantillonner le spécimen et d’en séquencer l’ADN

Les résultats du séquençage : une incroyable surprise

Les résultats du laboratoire de biologie moléculaire de Barcelone laissent sans voix : la séquence du champignon ne correspond à aucune espèce recensée au niveau mondial ; la séquence n’est pas enregistrée dans les bases de données comme Genbank.

Séquence ADN de Gissingeria attilensis (2023)-Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Mais là où se situe la surprise, c’est que cette séquence est très proche de séquences fongiques de spécimens inconnus trouvés...dans les plaines du Kazakstan en Asie Centrale mais aussi dans l’Est de la Hongrie dans la région de Tisza. Ce qu’il faut préciser également, c’est que ces spécimens ont été mis en évidence par des carottages dans le sol, on ne connaît donc pas leur forme macroscopique. Il est donc quasiment impossible que des spores se soient déplacées jusqu’à Sarre-Union.

Face à ces découvertes, j’ai contacté la Hungarian National Gallery de Budapest, mais aussi des mycologues de la Société Mycologique de France.

Personne n’arrive à expliquer cette découverte, surtout que pour la première fois on observe des fructifications d’un groupe de champignon dont on ne connaissait que la séquence ADN.

Le professeur Vsolt Versy, archéologue hongrois, propose une hypothèse très audacieuse. Le champignon fructifie à la faveur du réchauffement climatique et existe depuis longtemps sous forme de mycélium dans le sol.

Cet archéologue va même plus loin. S’il a été ramené sous formes de spores, c’est à la faveur autrefois d’un autre optimum climatique qui lui a permit alors de fructifier. Le dernier s’est déroulé entre 300 et 500 après le début de notre ère. Il est connu sous le nom d’optimum climatique romain. C’est justement vers 441 que les Huns, originaires de la plaine Danubienne, envahissent l’Europe. Est-ce que ce champignon a été ramené par Attila et ses troupes en Alsace Bossue ? La question est ouverte, d’autant plus que la région de Tisza serait le lieu de naissance du terrible roi des Huns.

Ce serait une découverte de taille que de démontrer que Sarre-Union a accueilli les Huns et même Attila. Des recherches archéologiques sont nécessaires pour appuyer ou infirmer cette hypothèse qui révolutionnerait nos connaissances sur l’histoire de l’Alsace Bossue.

En conclusion.

Le nom du spécimen demeure inconnu, et pour cause, il s’agit d’une nouvelle espèce. Le nom proposé par l’enquêteur et découvreur est Gissingeria attilensis (2023)

Un article spécifique sur cette découverte devrait paraître dans les prochains mois dans la prestigieuse revue scientifique Nature.

Statut selon l’INPN : selon les données transmises par les mycologues, cette espèce est une espèce endémique d'Alsace Bossue.
(espèce endémique = espèce présente dans une zone géographique exclusive ou limitée) .
En attente de classement officiel par les experts mycologues et en raison de sa vulnérabilité je ne peux que recommander de la chouchouter pour éviter sa disparition prématurée.

Comestibilité : oui . Espèce agréable au goût mais un peu difficile à digérer

Pour aller plus loin. sur cette espèce:

Champignons, ce qu’il faut savoir en mycologie. Guillaume Eyssartier, éditions Belin, 2018

Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab)