Lichens, champignons en interaction . Episode 1, il était une fois le champignon (et Melanohalea exasperata )

Publié le 10 Novembre 2018

Melanohalea exasperata , en photo 3 , détail d'une apothécie au grossissement x 20       Photos Gilles Weiskircher (Anab)
Melanohalea exasperata , en photo 3 , détail d'une apothécie au grossissement x 20       Photos Gilles Weiskircher (Anab)
Melanohalea exasperata , en photo 3 , détail d'une apothécie au grossissement x 20       Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Melanohalea exasperata , en photo 3 , détail d'une apothécie au grossissement x 20 Photos Gilles Weiskircher (Anab)

Nom scientifique : Melanohalea exasperata (De Not.). Blanco, Crespo, Divak., Essl., Hawkw. et Lumb

 

Date de l’observation: 26 mars 2018 à Wiesviller


Division des Ascomycota, famille des Parmeliaceae

 

Habitat : corticole, principalement sur petites branches de feuillus isolés ou dans des forêts claires ; héliophile. Se rencontre jusqu’à l’étage montagnard.

Nous avons vu, dans la première série des 16 épisodes de « Histoires de lichens », l’incroyable aventure des lichens et leur importance dans l’écosystème. Nous avions conclu que les lichens suscitent encore beaucoup d’interrogations et que finalement ce n’était pas au bout d’une aventure qu’on se trouvait, mais au début d’un voyage. C’est à un nouveau voyage que je vous convie à travers une nouvelle série de 16 épisodes qui continueront à traiter des lichens mais mettront aussi à l’honneur des organismes fondamentaux des lichens, les champignons.
 

Cette nouvelle série sera consacrée aux interactions que réalisent ces organismes avec les autres membres de l’écosystème et leur rôle essentiel dans le fonctionnement de ces derniers. Le fil conducteur de ces épisodes sera le collectif, les interactions entre les champignons et les autres organismes.
Ce collectif a déjà ponctué la première série d’épisodes et il n’est plus envisageable aujourd’hui de traiter un organisme comme une entité seule. Ce voyage nous emmènera à la rencontre des fourmis, des termites, des oiseaux. Nous irons observer l’intimité des racines des arbres, de notre intestin et même rencontrer une étrange reine noire. Chaque article sera illustré par une espèce de lichen recensée lors de mes prospections naturalistes.

Pour rédiger cette nouvelle série d’articles, je me suis inspiré, notamment, du dernier rapport du jardin botanique royal de Kew « State of the world’s Fungi », de diverses publications scientifiques récentes, du dernier bulletin de l’association française de lichénologie.

Puisse cette nouvelle série de vulgarisation éveiller votre curiosité et voir dans les champignons autre chose qu’un organisme qu’on cueille en automne pour les consommer.

statue bicéphale, art natoufien, musée de la citadelle d’ Amman, Jordanie Photo Gilles Weiskircher (Anab)

statue bicéphale, art natoufien, musée de la citadelle d’ Amman, Jordanie Photo Gilles Weiskircher (Anab)

Une histoire évolutive des champignons

 

Les champignons existeraient depuis la nuit des temps. Leur structure molle n’a pas permis leur fossilisation mais on estime qu’ils sont apparus il y a un milliard d’année. Évoluant dans le milieu aquatique, ils étaient eucaryotes unicellulaires et mobiles, pourvus d’un flagelle. Ils étaient probablement similaires à des classes de champignons actuels, les Cryptomycota, Microsporidia, Chytridiomycota et Blastocladiomycota, des champignons unicellulaires.
 

La perte du flagelle aurait eu lieu il y a 700 millions d’années, avec l’apparition des Zoopagomycota puis des Mucoromycota. C’est entre 600 et 700 millions d’années qu’apparaissent les asques et les basides caractéristiques respectivement des Ascomycota et Basidiomycota.

Le dernier ancêtre commun entre animaux et champignons daterait d'environ 670 Millions d'Années. La première symbiose lichénique daterait d’entre 640 et 550 millions d’années.

 

Durant l’ordovicien, il y a 460 millions d’années, les plantes colonisent le milieu terrestre. Le plus ancien champignon, Palaeoglomus grayi, considéré comme un gloméromycète, a été décrit dans des sédiments de la même époque. Les champignons ont colonisé la terre avant l'arrivée des premiers animaux. Ces premiers champignons, via les symbioses lichéniques, ont contribué à l'arrivée des autres plantes et animaux, en préparant les sols. Dans ce substrat formé de poussières volcaniques, les premiers végétaux émergés ont été confrontés à l’obtention des éléments minéraux essentiels. Il était impossible pour ces plantes pionnières de dissoudre les minéraux. Les champignons possédaient l’arsenal enzymatique pour le faire.

Jouant également un rôle essentiel dans le cycle de l'azote et la décomposition des matières végétales, les champignons ont, par leur activité de décomposeur, créés une couche fertile peu profonde, un environnement propice aux premières plantes dotées de racines primitives et superficielles.

 

Durant le dévonien, il y a 400 millions d’années, des champignons s’associaient avec des racines pour former des endomycorhizes. Cette association a été retrouvée dans des dépôts fossilifères en Écosse.

 !
Apparus à la fin du Carbonifère, il y a près de 300 millions d'années, certains champignons (les pourritures blanches) ont développé l'arsenal enzymatique leur permettant de dégrader le bois s'accumulant dans les forêts de conifères de l'époque. Cette décomposition aurait ralenti la transformation du bois en charbon dans les couches géologiques en le recyclant sous forme de CO2. Les symbioses mycorhiziennes expliquent, elles, la colonisation de presque toute la planète par les plantes.

 

Que retenir de cette histoire du vivant ? D’abord les champignons ont été présents à l’aube de la vie sur terre, évoluant ensuite en parallèle et en étroite collaboration avec le règne végétal, jusqu’à s’associer pour partir à la conquête de la terre ferme. La presque totalité des plantes de la planète vit en symbiose avec des champignons microscopiques reliés à leurs racines et même présents dans leurs tissus. On peut affirmer sans aucune hésitation que la vie n’existerait pas sur terre, du moins comme on la connaît, sans l’omniprésence de ce mutualisme. Sans le champignon, l’histoire du vivant aurait été radicalement différente.

 

La diversité du monde fongique

 

Considéré à juste titre comme un règne distinct des animaux et des plantes, le règne des champignons est constitué de 8 phylums : Cryptomycota, Microsporidia, Chytridiomycota, Blastocladiomycota,  Zoopagomycota,  Mucoromycota, Ascomycota et Basidiomycota

144 000 espèces ont été actuellement décrites, réparties en 886 familles, dont 90 000 espèces d’ascomycètes et 50 000 espèces de basidiomycètes. 2189 nouvelles espèces ont été décrites en 2017, 200 lichens et champignons lichénicoles. La diversité fongique est estimée, selon les auteurs, entre 2,2 et 3,8 millions d’espèces.

 

Le champignon, à l’origine des religions, mais aussi des civilisations ?

 

Les champignons sont certainement rentrés très tôt dans l’histoire des hommes. Certaines peuplades préhistoriques avaient des chamans qui consommaient certains types de champignons pour entrer en transe. Le chercheur Robert G. Wasson n’hésite pas à poser la question quant aux rôles des champignons hallucinogènes dans la naissance du phénomène religieux chez l’homme, l’émergence du sentiment de divinité (caractère entheogène) via les effets des champignons hallucinogènes. Ce n’est bien entendu qu’une hypothèse qui ne fait pas  consensus dans la communauté scientifique.

Une découverte récente d’une équipe d'archéologues américains et israéliens dans la caverne de Raqefet, au sud de Haifa, montre la plus ancienne trace de production d'alcool au monde, un alcool assez proche de notre bière actuelle. Rappelons que la bière est le résultat d’une fermentation alcoolique de céréales par des champignons unicellulaires de type levure. Le site fouillé date de 13 000 ans et était occupé par les natoufiens, un des premiers groupes sédentaires qui a vécu là entre 12 500 et 10 000 ans avant notre ère. Selon l'un des auteurs de l'étude publiée dans The journal of archeological science, ce breuvage était apparemment lié à des cérémonies et d'autres formes d'activités sociales.  Cette brasserie est antérieure de plusieurs millénaires aux débuts de la culture domestiques de céréales au proche Orient. Les Natoufiens font le lien entre paléolithique et néolithique, entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs. Est-ce pour faire de la bière que quelque temps plus tard, dans cette partie de la méditerranée, on va cultiver des céréales ? La bière aurait donc déclenché la révolution néolithique durant laquelle les chasseurs-cueilleurs se sont mis à s’organiser en communautés axées sur l’agriculture céréalière.


 


Texte, photos, et bibliographie : Gilles Weiskircher (Anab )

 

 

Sources :

https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/comment-les-champignons-ont-ils-evolue_15610

http://www2.cnrs.fr/presse/communique/2691.htm

https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/botanique-plus-ancien-champignon-connu-ressemblait-notres-67615/

https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/paleontologie/le-plus-ancien-fossile-terrestre_104242

http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/5664/15_24.pdf?…

State of the world’s fungi 2018 by Royal Botanic Gardens Kew

https://www.franceinter.fr/sciences/il-y-a-13-000-ans-les-natoufiens-inventaient-la-biere

Rédigé par ANAB

Publié dans #champignons

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H
Voyage très intéressant,Gilles, en particulier la vue écologique sur les champignons et l'importance pour le vivant en genéral. <br /> Est-ce qu' on peut imaginer une vie sur terre si sur notre planète les champignons et lichens disparaîtraient?
Répondre
G
Bonsoir Hans, <br /> C'est très difficile de répondre à cette question, la vie ayant beaucoup d'imagination et de résilience.<br /> On peut en revanche très bien savoir ce qu'on perdrait sans les champignons, à savoir les forêts, des aliments phares de notre alimentation, etc.<br /> Je ne pense pas que le vivant disparaîtrait mais il suivrait une nouvelle voie, ce qu'il sait faire depuis plus de trois milliards d'années.
R
Merci Hans de ton commentaire et merci Gilles de ce beau périple au pays des champignons et lichens auquel tu nous convies et qui promet d'être passionnant comme ce premier article